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Décodage et Thérapie

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La RELIGION DU WOKE par le Dr François Thioly.

La religion du woke par le Dr François Thioly

Je pense depuis longtemps qu’une certaine gauche s’est coupée du réel, et donc de la vie dans son expression la plus immédiate, ce qui ne l’empêche en rien d’exercer un pouvoir de fascination sur une grande partie de nos contemporains, et tout particulièrement sur les jeunes générations, très sensibles à la forte charge émotionnelle des combats et revendications qui se réclament de cette mouvance. La gauche à laquelle je pense est celle qui se laisse séduire par les concepts abstraits, elle idéalise Robespierre ou Che Guevara, préfère 1793 à 1789, la terreur à la démocratie parlementaire, et cela au nom d’un idéal révolutionnaire coupé des réalités humaines, elle rêve de façonner un « homme nouveau », quoi qu’il en coûte. Elle partage les mêmes excès idéalistes qu’un certain christianisme lorsqu’il se détourne de la vie terrestre au nom de l’Au-delà. Elle vise elle aussi le paradis, mais un paradis terrestre, et elle se persuade que tous les moyens sont bons pour l’imposer aux récalcitrants. Héritière laïque du christianisme messianique elle se coupe non seulement du réel, mais de la vie, ce qui est proprement mortifère.

Les distinctions classiques droite-gauche ne rendent ainsi plus bien compte de la polarisation croissante de nos sociétés occidentales dont les clivages empruntent d’autres lignes de fracture. Je me propose dans ce qui suit d’explorer l’une de ces lignes de fracture, celle qui résulte d’une mouvance que je considère « de gauche » dans l’acception retenue ici.

Je pense en effet à la diffusion de plus en plus prégnante d’un mouvement qui nous vient des universités américaines, le woke, ou wokisme, dont la généralisation pourrait contribuer à ruiner notre civilisation. A mon sens, ce mouvement relève, au choix, d’une nouvelle religion ou, dans ses formes les plus radicales, de la pathologie mentale ; dans les deux cas, il me semble symptomatique d’une civilisation en perte de repères, une civilisation qui va mal et se laisse gagner par des idéologies à fort potentiel suicidaire.

Ce qui n’empêche pas que depuis une dizaine d’années, le woke contamine chaque jour davantage nos sociétés occidentales. Se proposant « d’éveiller » ses adeptes afin d’éradiquer toutes les formes de discrimination, il mélange féminisme de combat (héritier des excès de Judith Butler) et antiracisme militant, à quoi le plus souvent il adjoint l’écologisme radical. Au nom d’un égalitarisme qui confond différence et inégalité, il manifeste une volonté d’abolir les distinctions qui structurent pourtant notre psychisme comme notre société. Et comme, pour ses adeptes, il fait l’objet d’une adhésion fidéiste, il est la Vérité : quiconque se hasarde à le questionner est immédiatement disqualifié. Les objets de foi ne se discutent pas, ils sont aussi imperméables à la raison qu’aux évidences factuelles. Là, comme pour d’autres sujets qui ont tant marqué ces trois dernières années, le débat est exclu, ce qui en soi est déjà fort inquiétant et représente une menace pour nos démocraties.

Dans son projet de combattre les différences dénoncées comme sources de discrimination, le woke affirme que plus encore qu’inégalitaires, elles sont arbitraires, car ne relevant que de conditionnements, de simples constructions socio-culturelles, imposées par l’immémorial ordre patriarcal qui prévaut et réalise cet « androcène » responsable de tous les maux qui accableraient l’humanité depuis la nuit des temps. Il en découle par exemple que la plupart des prétendues différences entre les sexes ne seraient que stéréotypes de genre produits par la domination masculine et les conditionnements qu’elle impose ; afin que ces différences ne soient plus sources de discrimination, il convient donc de les dissoudre. Mais comme on ne peut tout à fait nier qu’il y ait un sexe masculin, avec son chromosome Y qui n’existe pas chez l’autre sexe, on dissocie le sexe du genre, qui lui, se doit d’être fluide, objet de choix libéré de tous les déterminismes, en confondant ceux qui relèvent d’une construction sociale et ceux que nous impose la nature. Ne sommes-nous pas là devant un dangereux fantasme « d’auto-engendrement », un déni de filiation ? S’interroge-t-on suffisamment sur les conséquences autant sociales qu’individuelles de la revendication d’une liberté sans limites, sous-tendue par un rêve de toute-puissance au nom du désir de s’affranchir des entraves au libre jeu de ses fantasmes ? Rappelons à ce propos l’une d’entre elles, dramatique, qui confrontera très durement au réel tous ceux qui iront au bout d’une démarche de changement de genre : les mutilations chirurgicales qu’elle implique interdiront définitivement toute jouissance sexuelle…

Et tant pis pour les contradictions : ici comme chaque fois qu’on se polarise sur la thématique identitaire, on tombe très vite sur celles inhérentes à cette notion : l’identité, comme le souligne très justement Julia de Funès, c’est la similitude : en bonne logique, A est identique à lui-même, ce qui s’écrit A = A. C’est d’ailleurs ce signifie lorsqu’on dit « identique »; mais le même terme exprime aussi la particularité, ce qui distingue de tous les autres. Résultat : lorsqu’on se réfère à ce concept, on tombe très vite sur d’inextricables paradoxes. On le voit avec les revendications de toutes les minorités (celles qui luttent contre ce qu’elles perçoivent comme de la discrimination) qui demandent à la fois d’être reconnues dans leur spécificité, leur différence, et en même temps d’être « comme tout le monde ». Dans le domaine abstrait du concept c’est déjà compliqué à conjuguer, mais dans la vie réelle, cela débouche souvent sur des crispations, des clivages qui conduisent à une atomisation de la société très éloignée du propos initial, aussi légitime fût-il. Toute la phraséologie woke, qu’il s’agisse de l’identité de genre ou de l’identité raciale, comme on le verra plus loin, me semble empêtrée dans ces contradictions.

On critique donc l’identité de genre parce qu’elle serait le résultat d’un conditionnement social, mais on n’hésite pas, à travers tout ce discours qui se voudrait « libérateur », de promouvoir un nouveau type de conditionnement, la propagande woke étant évidemment une construction idéologique. Et on soumet les plus vulnérables à cette idéologie, les adolescents, dont on sait en effet qu’ils traversent bien souvent une crise d’identité, tout à fait normale à cet âge de la vie. Cette vulnérabilité les rend plus réceptifs aux discours militants, ceux qui proposent des solutions toutes faites, propres à oblitérer le mal-être adolescent, car bien concrètes, donc rassurantes. Mais potentiellement dévastatrices lorsqu’elles débouchent sur des interventions mutilantes et donc irréversibles. C’est ainsi que se développe une clientèle croissante pour des chirurgiens dont ces jeunes en perte de repères nourrissent le business lucratif ! Et c’est sans surprise qu’on voit parallèlement grossir les demandes d’aide psychologique de la part de « trans » dont le changement de genre n’a pas résolu les problèmes identitaires.

Cette idéologie progresse en effet de manière inquiétante là où les écologistes radicaux accèdent au pouvoir : en Allemagne, où ils sont aux manettes, l’état finance désormais auprès des jeunes une campagne de promotion de substances nommées « bloqueurs de puberté »; ce sont des hormones qui, comme leur nom l’indique, retardent artificiellement la survenue de la puberté et donc l’acquisition des caractères sexuels secondaires propres au sexe biologique. Cette campagne de promotion interroge ainsi les jeunes : « Tu es encore très jeune et tu n’es pas encore pubère ? Tu sais, tu peux prendre des bloqueurs de puberté (…) Ainsi, tu auras plus de temps pour réfléchir. Réfléchir tranquillement : quel corps me convient ? ». En Espagne, une loi vient d’être votée autorisant les adolescents à démarrer leur changement de genre sans l’accord des parents à partir de 16 ans, et de saisir un défenseur judiciaire en cas de désaccord avec eux à partir de 14 ans.

En France, même si nous n’en sommes pas encore tout à fait là, les militants woke poussent dans la même direction : il s’est récemment tenu à Lyon le 2ème congrès de TRANS-SANTE France où l’on s’est félicité de ce que le nombre de chirurgiens pratiquant les vaginoplasties et autres interventions mutilantes était passé de 4 en 2002 à 30 aujourd’hui, ce qui n’empêche pas de très longues listes d’attente. Là aussi, les bloqueurs de puberté sont évidemment mis en avant, préconisés dès 8 ans, dans l’espoir de s’affranchir de la limite d’âge actuellement fixée à 14 ans pour la mise en œuvre de traitements visant au changement de genre. Les congressistes réclament qu’à la limite d’âge on substitue l’appréciation d’une « maturité suffisantes ». Il est aussi indiqué qu’il convient si nécessaire de s’affranchir du consentement des parents en « utilisant les dispositions du Code de la Santé publique qui permettent de ne pas informer les parents à la demande de l’enfant ». Il est notamment écrit dans les actes de ce congrès qu’il s’agit « d’accéder aux demandes d’intervention imaginées par le patient »… Notons qu’assez curieusement, puisque pour ces militants être « trans » ne relève pas d’une pathologie mentale, le candidat au changement de genre est tout de même appelé « patient » dans le texte en question…

La parentalité elle-même doit s’émanciper de la référence au couple hétérosexuel puisque la fécondité, grâce à la science, peut désormais s’affranchir des limitations naturelles, à l’instar de ce que prônent les transhumanistes. Et dans le monde du Planning familial, au lieu de « femme », on dit désormais « personne ayant un utérus », ce qui n’empêche pas d’y trouver légitime d’appeler « homme enceint » une ex-femme porteuse d’un enfant !

La parenté entre wokisme et écologisme radical engendre une autre contradiction : les adeptes du mouvement woke sont le plus souvent d’ardents défenseurs d’une nature affranchie de l’emprise humaine. Mais la liberté que la science confère désormais aux voies conduisant à la procréation n’est-elle pas une manière de rompre avec cette nature ? Le gommage de la distinction des genres, découplée de la différence sexuelle, ne relève-t-il pas de cette même rupture ? Une perversion de l’ordre naturel ? Dans les actes du congrès cité plus haut, il est écrit « aujourd’hui, on peut presque tout faire ». C’est là que s’exprime à mon sens la dimension délirante et même le travers mortifère de cette idéologie : au nom de principes idéologiques abstraits, elle veut promouvoir une humanité coupée de sa réalité.

Ce divorce d’avec la réalité rend sans doute compte d’autres contradictions :

– l’écologisme radical rêve une nature idéalisée, purifiée des ravages exercés par l’humanité, ennemie désignée de la déesse-mère Nature : la Nature, ou la Terre, Gaïa, déifiée… Lorsque cette idéologie ne se propose pas carrément de purger la planète de l’humanité tout entière pour lui restituer une virginité que notre espèce prédatrice aurait violée, elle accuse très clairement le « progrès » technologique de mettre la Mère-Nature en danger de mort. D’où tout le discours sur la « décroissance », l’appel d’une Greta Thunberg aux jeunes pour qu’ils désertent l’école puisque l’enseignement scientifique auquel ils y sont soumis produit la technicité prédatrice. Le culte de cette nature idéalisée conduit à prôner un quasi retour à l’état sauvage, l’humain n’ayant aucun privilège à revendiquer (c’est là le crédo de l’anti-spécisme, autre fréquent ingrédient du wokisme). En effet, dans cette perspective, il ne serait qu’un animal parmi les autres ; pour certains, il convient d’ailleurs d’accorder aux animaux les mêmes droits qu’à notre espèce, et même un statut juridique de «personnes» ; et de là, bien sûr, promouvoir le radicalisme alimentaire vegan qui bannit toute consommation de produits d’origine animale.

-Mais si l’être humain est un animal comme les autres, il fait donc partie de cette même nature qu’il est sacrilège d’altérer : une telle évidence ne devrait-elle pas interdire qu’on imagine pouvoir le transformer contre nature (changement de genre), ou qu’on l’amplifie par la technologie, comme le rêve le transhumanisme, une idéologie qui avance main dans la main avec le wokisme ?

-Car le wokisme célèbre l’avènement d’une humanité nouvelle, une humanité « non- binaire ». On retrouve là ce fantasme des derniers avatars d’un christianisme laïcisé, celui de l’« l’homme nouveau » cher au communisme mais aussi au nazisme, sauf qu’ici, il ne faut évidemment plus parler d’homme, mais d’humanité. Une humanité délivrée des limitations «naturelles» par la grâce d’une science toute-puissante, dont on fait mine d’oublier qu’elle est pourtant elle-même une construction socio-culturelle.

Au gré des nécessités idéologiques, la science serait donc tantôt libératrice, tantôt diabolisée. Pour surmonter cette contradiction, les adeptes les plus réfléchis distinguent peut-être une science « patriarcale », la science conquérante, prométhéenne, imposée par des « male chauvinist pigs » tout au long d’une histoire marquée par leur domination, d’une science féminine, qui puiserait son respect de la nature dans la lointaine complicité des sorcières avec les forces invisibles auxquelles seule leur intuition spécifique donnerait accès… Et tant pis pour la réécriture de l’histoire : elle se doit d’être au service d’un Grand Récit propre à imposer des croyances à forte composante émotionnelle, car c’est là le parcours obligé du concept à l’émotion, creuset des forces vives à pouvoir révolutionnaire, transformateur.

La stigmatisation du masculin dominateur, de son emprise historique sur nos sociétés que le wokisme rassemble donc désormais sous le néologisme d’androcène donne naissance à des initiatives déconcertantes, mais illustrant bien les conséquences paradoxales, clivantes évoquées plus haut. On combat les discriminations, on revendique la fluidité du genre au nom de la lutte contre les différences mais on encourage une ségrégation des sexes : les clubs réservés aux hommes étaient haïssables, mais on voit fleurir les réunions, rassemblements, colloques et même restaurants strictement réservés aux femmes. Lorsqu’on se veut plus inclusif, on en vient à des absurdités comme qualifier les pistes cyclables de « genrées » et donc à instaurer, comme le fait le maire écologiste de Lyon, des voies cyclables « non genrées » avec le prétexte de « permettre aux femmes de s’y sentir plus en sécurité ». Faut-il en déduire que jusque là, les pistes cyclables étaient accaparées par les prédateurs mâles ? En poussant cette logique un peu plus loin, on en vient à la proposition suédoise de toilettes non-genrées, où l’on contraindrait les hommes à uriner assis afin qu’ils soient mis non pas sur un pied, mais sur un trône d’égalité avec les personnes porteuses d’un utérus et renoncent par là au privilège que leur conférerait un organe dont ils tireraient leur superbe dominatrice. Notre société infantilisante ne risque-t-elle pas d’illustrer là de manière grotesque le « Penisneid » (la jalousie du pénis) que Sigmund Freud prêtait aux petites filles ?

C’est ainsi qu’au-delà des formes absurdes que peut revêtir le gommage des différences au nom du souci d’être toujours plus inclusif, on débouche sur une stigmatisation ségrégative, une guerre des sexes où « mâle » deviendrait synonyme de « mal ».

Cette stigmatisation du mâle et de son emprise dans les formes extrêmes qu’elle peut prendre (il ne s’agit évidemment pas ici de récuser les très légitimes revendications féministes lorsqu’elles ne tombent pas dans les travers dénoncés ici) rejoint paradoxalement les menées des islamistes, soutenus eux aussi par la même gauche extrême, celle qui se laisse séduire par l’idéologie woke comme par l’écologisme radical, et pourtant aux antipodes du souci d’inclusion : ce sont en effet les islamistes qui les premiers ont voulu instaurer une séparation des sexes dans l’espace public (piscines dont certains horaires seraient réservés aux femmes, par exemple), en conformité avec ce qu’une lecture littéraliste et régressive du Coran leur fait prendre pour la volonté divine. Relevons que certains y voient le sous-produit d’une peur archaïque du féminin, dont Kamel Daoud prétend qu’elle demeurerait prégnante dans les sociétés musulmanes. Mais les extrémités délirantes auxquelles conduit un certain féminisme de combat pourraient presque faire comprendre la peur masculine d’une féminité vue à travers un tel prisme !

Il découle donc paradoxalement du projet de lutte contre les discriminations une polarisation de la société, une amplification des oppositions tout à fait contradictoire avec l’idéal au nom duquel ces luttes sont menées. Cela ne rappelle-t-il pas que l’idéal d’une société sans classes, donc enfin harmonieuse, passait nécessairement par la sanguinaire dictature du prolétariat ? Mais malgré tous les massacres censés la faire advenir, une telle société ne fut jamais réalisée… Cruelle illustration de l’abîme qui sépare le concept abstrait de la réalité.

On retrouve les mêmes contradictions dans un autre grand combat mené par le wokisme : celui de la lutte contre les discriminations raciales. La forme qu’il y prend dérive de la même déconnexion d’avec le réel que celle où conduit le féminisme extrême. Au nom de la très juste défense des droits des minorités raciales, de la critique légitime des exactions du colonialisme, il reprend à son compte la partition du monde entre victimes et bourreaux. Les bourreaux étant bien sûr, là encore, les « male chauvinist pigs », appellation honteuse à laquelle il convient ici d’ajouter « white », cette espèce désignée à la vindicte publique que sont les hommes blancs, hétérosexuels et bien sûr conservateurs, arcboutés sur la défense de leur domination (dont ce texte serait évidemment vu comme une illustration par les adeptes de cette idéologie), donc d’extrême-droite, néo-fascistes, ces héritiers de toutes les tares de l’humanité qui, lorsqu’ils sont professeurs dans certaines universités américaines, doivent publiquement s’excuser des injustes privilèges que leur condition leur réserve dans une société faite par et pour eux.

Cette société injuste, le combat woke contre toutes formes de discriminations se propose de la transformer. Mais la transformation qu’on voit s’opérer confère par réaction des privilèges exorbitants aux victimes du monde d’avant. Notons au passage que la sanctification de la victime, à qui on accorde par avance toutes les vertus de par son seul statut de victime, représente une tendance lourde et très générale dans nos sociétés occidentales modernes, préexistante au mouvement woke. On peut reconnaître en cette tendance un nième avatar d’un christianisme coupé de ses racines spirituelles : le christianisme ne divinise-t-il pas la victime, démasquant l’innocence du bouc émissaire à travers le scandale de la mise à mort du Christ, ainsi que l’a si bien montré René Girard ?

Cette logique a conduit à réintroduire un concept qu’on se proposait pourtant de dépasser : celui de race ! Voilà un autre sujet agrégé au Grand Récit si mobilisateur que véhicule le wokisme. Il en découle un racialisme crispé, celui des « ethnic and racial studies » américaines qui ont tant marqué notre nouveau ministre de l’éducation puisque c’est aux USA, alors qu’il se familiarisait avec ces travaux, qu’il a enfin réalisé qu’il était noir, ce dont il ne s’était jamais rendu compte en France. Cette révélation lui a permis de voir ce qu’il ne voyait pas et, il y a quelque mois, à l’occasion d’un discours prononcé aux Etats-Unis, d’y critiquer notre pays en déclarant qu’il y sévit un racisme endémique. N’y a-t-il pas une certaine contradiction entre un tel reproche et ce qu’illustre son propre parcours ? Sa posture est en tout cas très symptomatique de l’importation abusive et historiquement indéfendable d’une problématique spécifiquement nord-américaine pour justifier la rhétorique indigéniste qui sévit désormais en France et constitue un des ingrédients du wokisme.

Au nom de la lutte contre le racisme, lutte par ailleurs parfaitement légitime, soulignons-le ici, mais armé de concepts qu’on peut dire de cette gauche coupés de la réalité par leur radicalité même, on ne produit rien d’autre qu’un nouveau racisme qui débouche, tout comme le féminisme radical, sur un clivage, une polarisation de la société prenant forme de ce que pourtant on se proposait d’abolir : une ségrégation au nom de l’identité raciale ! On retrouve là les inévitables contradictions que produit la référence à un concept paradoxal. Mais au-delà de ces contradictions, cette polarisation porte en germe les passages à l’acte violents, d’autant plus menaçants que nos sociétés fragilisées par les crises récentes basculent davantage dans l’anomie.

La culture n’est pas épargnée par les ravages du wokisme : en réalisant la fusion entre le féminisme radical et l’antiracisme militant (black lives matter, par exemple), le wokisme se doit d’expurger la culture de tout ce qui pourrait renvoyer à l’idéologie honnie, celle du mâle blanc hétérosexuel. Tant pis pour les anachronismes, on relit l’histoire avec le filtre qu’impose cet « éveil », on abat les statues de grandes figures du passé au nom de leur adhésion à une vision qui était celle de leur époque mais heurte la nouvelle sensibilité woke, on expurge les œuvres littéraires des propos qui risqueraient de heurter la délicate sensibilité woke et on invente cet invraisemblable concept « d’appropriation culturelle ». Qu’au théâtre ou à l’opéra on préfère attribuer un rôle d’Africain à une personne de couleur, tout comme on choisira plutôt un acteur âgé pour incarner un vieillard, on peut le comprendre. Mais faut-il pour autant interdire une représentation parce que ce choix n’aurait pas prévalu, comme on a déjà pu le déplorer au théâtre comme à l’opéra ? Par exemple il y a quelques années déjà on a vu la déprogrammation de la prestation d’un groupe musical sous prétexte qu’il portait un nom chinois alors qu’aucun de ses membres n’était asiatique (Taïwan MC du label Chinese Man Records interdit de représentation à Montréal) ? Accepter de telles dérives finira par faire interdire aux Blancs de jouer du jazz !

Tout cela serait risible si ce n’était si grave. Le mouvement woke va jusqu’à corrompre l’outil de notre pensée, la langue, à travers une réforme qui impose de plus en plus l’écriture inclusive. Cette dernière sévit en effet déjà très officiellement en Suisse francophone ou au Québec et est désormais imposée en France dans les documents officiels de certaines municipalités écologistes. Les « celles et ceux » de notre président si progressiste se sont largement imposés et dépit du fait que le génie de notre langue, qui a renoncé au neutre du latin, a réussi à dépouiller avec élégance le masculin de sa signification sexiste puisque le contexte y a toujours permis d’entendre ou de lire « les hommes », pourtant au masculin, comme un équivalent de « l’humanité », au féminin.

Il est piquant de relever que là encore, l’intention est pervertie par le réel : la langue inclusive exclut de fait le neutre, débouchant sur une polarisation masculin-féminin qui discrimine celles et ceux d’entre ses promoteur(e)s qui se veulent non genré(e)s, ni masculin(e)s ni féminin(e)s. Et puis pourquoi mettre le (e) du féminin entre parenthèses, n’est-ce pas là un reliquat symbolique, la marque persistante d’un privilège masculin ? Ou alors peut-être faut-il voir dans ce « e » l’adjonction à la graphie masculine d’un pictogramme représentant le sexe féminin, réalisant par là l’inversion, ou plutôt la correction de l’ordre immémorial : proclamation que le féminin ajoute quelque chose au masculin ! Une autre forme du « Penisneid » ? On voit bien là à quel point ce genre de « réforme », au-delà de l’insulte qu’elle représente au génie de la langue, est assez ridicule. Ce qui ne l’empêchera sans doute pas de rallier bien des esprits convertis par la propagande insistante de militant(e)s très acti- f-ve-s.

Cette grande confusion des genres, cette diabolisation des différences pour mieux en imposer d’autres, clivantes, discriminatoires, au nom d’idéologies découplées du réel, me semble traduire une sorte de psychose collective qui instaure dans nos sociétés des lignes de fracture venant se substituer à celles opposant traditionnellement les « classes » sociales et risquent de susciter des oppositions tout aussi violentes : ne sont-ce pas précisément ce genre d’excès qui ont porté Trump au pouvoir ? Comment ne pas craindre que de tels désordres de la pensée ne soient annonciateurs de la fin d’une civilisation, celle qui a produit les Lumières qui elles-mêmes ont fini par accoucher de ce monstre qui se retourne contre ses géniteurs ? Comment ne pas craindre pour la santé mentale des jeunes générations, débarquant dans une société où le vivre ensemble est menacé par une polarisation croissante, et davantage encore par une dissolution de tous les repères structurants, une mise à mal de l’ordre symbolique sur lequel se fonde autant le psychisme individuel que la cohésion sociale ? Ne sommes-nous pas en train de générer des cohortes de psychotiques ?

Le mouvement woke est pourtant né dans les meilleures universités américaines, mais il relève bien davantage de l’idéologie que de la réflexion. Il procède de l’hybridation entre la digestion laborieuse des « french studies », cette lecture des philosophes « déconstructivistes » français des années 60-70 (Deleuze, Derrida, Foucault…) et la spiritualité vaporeuse de la contre-culture hippie. Cette dernière ascendance, creuset des rêveries spiritualistes new-age, le prédisposait à acquérir le statut de croyance qui le caractérise. En tant que tel, le wokisme est donc totalement insensible au raisonnement, à la réfutation, il ne saurait souffrir aucune contradiction. Et le fait qu’il soit né dans les universités, qu’une part croissante des jeunes générations s’y convertisse, lui confère une force de pénétration considérable. Les périodes de crise, et sans doute peut-on dire en ce qui concerne les temps que nous vivons, de décadence, sont propices à la propagation de nouvelles religions. C’est cette dimension religieuse, davantage même qu’idéologique, qui lui confère son dynamisme contagieux dans un monde déboussolé, angoissé, privé du réconfort que dispensait l’adhésion collective à des religions instituées. Sans une rapide réaction de ce qui nous reste de bon-sens, on peut donc malheureusement lui promettre un avenir glorieux ! Mais aussi craindre des retours de bâton tout aussi radicaux, avec un face-à-face dangereux entre deux conceptions caricaturalement opposées du devenir humain. En un temps où l’angoisse que génère un monde toujours plus complexe est propice au repli sur des positions binaires, simplistes, à fortes composantes émotionnelles on peut craindre que ce clivage ne débouche sur de la violence. On aurait donc bien tort de traiter le mouvement woke à la légère sous prétexte qu’il produit les prises de position ridicules d’une Sandrine Rousseau dénonçant le caractère machiste du barbecue !

Dr François Thioly, psychiatre

 

La religion du woke

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LA RESPIRATION HOLOTROPIQUE

 

 

 

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Interview Revue NéoSanté

Interview
Djohar Si Ahmed & Gérald Leroy-Terquem –  REVUE Néo-Santé N°49 – FÉVRIER 2018

« Trouver le sens de la maladie est un enrichissement »

Penser le trauma, c’est commencer à le panser. De ce fait, beaucoup de maladies de l’âme et du corps doivent pouvoir bénéficier d’un abord psychothérapeutique… à condition que cette thérapie ne se limite pas à une seule approche ! Voilà l’impertinente thèse développée par Djohar Si Ahmed et Gérald Leroy-Terquem . Ces deux psychanalystes singuliers prônent une approche intégrative, afin de sortir de l’ornière des « analyses enlisées » et de potentialiser le travail de l’analyse. Il leur a fallu du courage et de l’ouverture d’esprit pour articuler l’héritage de Freud et Jung à celui de Georg Groddeck, Stanislav Grof, Milton Erickson ou Claude Sabbah, pour ne citer qu’eux ! Dans leur livre « Les processus de guérison » (Dangles, 2015), ils offrent un regard inédit sur la relation corps-psyché et son impact sur la maladie et la guérison. C’est à un véritable voyage initiatique qu’ils nous convient pour remonter aux racines mêmes de la souffrance. Un cheminement insolite où les modifications de l’état de conscience tiennent une place majeure.

Propos recueillis par Carine Anselme

Comment penser la maladie ? Comment penser la souffrance du corps ou de l’âme ? Comment penser les voies de guérison ? Comment accueillir et déployer ses émotions pour guérir ? Djo- har Si Ahmed et Gérald Leroy-Terquem pointent, dans leur récent ouvrage, les limites de la pensée médicale sur ces questions, mais aussi leur (légitime) désappointement de thérapeutes face à certains patients en analyse depuis des années, sans le moindre changement… Surtout, ils reconsidèrent, à l’aune de leur parcours et de leurs recherches, l’idée qui campe au cœur de la ligne éditoriale de NéoSanté : toute maladie a un sens. Il est clair, pour eux, qu’elle n’est pas seulement le fait d’agressions physiques ou psychiques, mais qu’elle résulte avant tout de la façon dont nous traitons, en notre for intérieur, les épreuves et les chocs traumatiques subis depuis notre gestation et notre enfance, et qui se font écho de loin en loin. « Jusqu’à ce qu’un écho plus puissant que les autres ne déclenche la maladie », disent-ils. Pour accompagner un processus de guérison, ils n’hésitent pas à recourir, en complément de leur approche psychana- lytique, à diverses options thérapeutiques, allant de l’hypnose à la Respiration Holotropique, en passant par la PNL, afin de s’adapter au mieux aux problématiques et nécessités du sujet. En entretien, ces deux-là s’expriment en chœur. Ils se complètent, s’interpellent pour être sûrs d’être en accord… Tant et si bien que nous avons fait le choix, pour cet entretien en duo, de retranscrire leurs propos en une seule voix. Une voix forte, qui détonne dans le sérail psy !

Qu’est-ce qui vous a poussés à vous intéresser à des « chemins de traverse », inhabituels dans l’univers « psy » ?

Après avoir collaboré au sein d’une institution psychiatrique et soutenu nos thèses respectives , nous nous sommes formés à l’hypnothérapie classique (avec Léon Chertok), à l’hypnose éricksonienne et à la PNL. Au fil des ans, nous nous sommes beaucoup intéressés aux états de conscience modifiés, plus spécifiquement à leur impact dans le champ de la thérapie. C’est cet intérêt pour les états de la conscience qui nous a fait découvrir les travaux de Stanislav Grof, et poussés à nous former auprès de lui, à la psychologie transpersonnelle et à la Respiration Holotropique, que nous pratiquons depuis, parallèlement à notre activité de thérapeutes (en entretien individuel). Ces rencontres, ces formations et ces interrogations nous ont conduits à co-créer l’Institut des Champs Limites de la Psyché (ICLP), centre de thérapie et de formation.

Qu’entendez-vous par « Champs Limites de la Psyché » ?

Cela signifie l’étude de ce qui est aux limites de ce qui est admis, de ce qui est enseigné, de ce qui est conceptualisable et qui, pourtant, va se révéler déterminant dans la compréhension de la vie psychique et dans la conduite d’une thérapie.

C’est de là qu’est né votre intérêt pour les états modifiés de conscience ?

C’est par un travail de recherche sur les phénomènes paranormaux que nous avons pris conscience du rôle déterminant des changements d’état de conscience (par rapport à un état de conscience ordinaire, vigile) dans leur apparition. Parallèlement à cette observation, nous avons peu à peu constaté que la psychanalyse n’est pas, en soi une approche adaptée à tout le monde, ni à toutes les problématiques. Nous avons alors cherché ce qui pourrait en potentialiser les effets thérapeutiques. Nous avions bien perçu, à la lumière de notre expérience du divan, que l’interprétation portait davantage lorsque le sujet était dans un état de grande relaxation – autrement dit, dans un certain état modifié de conscience. D’où nos formations en hypnothérapie et en Respiration Holotropique, induisant, à différents degrés, une modification du fonctionnement habituel de la conscience. Accéder et intégrer ces différentes approches vont dans le sens de notre appréhension de l’être humain : il ne s’agit pas selon nous, de le découper en tranches selon des options conceptuelles isolées (si pertinentes soient-elles) : lacanienne, freudienne, jungienne, transpersonnelle, grofienne, comportementale (etc.), car, dans sa complexité, il est tout ça à la fois ! Plus on a de « lunettes » pour appréhender ses différentes facettes, plus on peut être efficient sur le plan d’une pratique thérapeutique intégrative, à adapter non pas tellement aux nécessités de la personne mais à la réalité de son fonctionnement inconscient.

Comment orchestrez-vous l’accompagnement thérapeutique, à la lumière de vos différentes approches ?

Le fait d’avoir plusieurs outils à notre disposition et de les avoir intégrés, nous permet d’en supputer puis d’en poser l’indication lors des premières consultations. À la lumière de notre parcours, nous pouvons affirmer qu’une thérapie s’organise selon nous (selon Ferenczi aussi) autour de deux grands axes. D’une part, l’axe archaïque, infraverbal, que la psychanalyse (même parfois jungienne) laisse de côté – souvent, précisons-le, du fait d’un cadre inadapté. D’autre part, l’axe verbal, tout aussi capital. Or, qu’observe-t-on dans nos sociétés et dans le champ des thérapies ? Soit on privilégie le psychocorporel, l’infraverbal, l’énergétique et l’ex- pression des affects, sans jamais reprendre verbalement ce qui s’exprime parce que le mental, selon cette vision, est à bannir. Ou, au contraire, l’approche verbale est exclusive – le sujet s’enferre et s’enferme en racontant en boucle les mêmes choses – et on oublie dans ce cas, qu’il existe aussi des dimensions corporelles, biologiques, émotionnelles à explorer. Nous sommes des êtres humains et en tant que tels nous avons besoin de penser les choses, de les mettre en mots, mais nous avons aussi besoin de déployer nos émotions, de laisser parler notre corps, notre voix – autrement dit, d’exprimer un certain nombre de ressentis qui ne sont pas toujours accessibles d’emblée et que l’approche verbale n’arrive pas forcément à atteindre. Notre approche intègre ces deux grands axes. Nous aimons beaucoup la métaphore de la barque : la thérapie serait l’équivalent d’un passage d’une rive à l’autre. Pour faire avancer cette barque, on a besoin de deux rames. Une rame serait le travail sur l’émotionnel, le corporel, l’autre rame serait la mise en mots et l’accès à la pensée, au sens des choses vécues ! Avec une seule rame, il est bien difficile, voire impossible de traverser la rivière, on tourne en rond, comme en témoignent les analyses interminables, mais aussi les déviances des thérapies New-Age ! Rappelons que le fait de penser sa vie psychique peut amener à en panser les blessures.

Concrètement, comment articulez-vous vos outils ?

Cela dépend évidemment de la demande et surtout de la souffrance du consultant. Si une personne, souffrant par exemple d’une phobie invalidante, ou d’une terreur à l’idée de repasser un examen auquel elle a déjà échoué à quatre ou cinq reprises, demande de l’aide, nous ne pouvons adopter une attitude psychanalytique stricte et proposer des entretiens ou une analyse en lui disant – nous caricaturons bien sûr : « Allongez-vous, racontez-moi… ». Il y aura alors bien peu de chances, sauf miracle, que sa phobie disparaisse ou que la programmation d’un nouvel échec à son examen s’efface ! Cette personne risque fort de rester bloquée sur sa symptomatologie, dont elle ne fera que parler et se plaindre indéfiniment. Dans de tels cas, notre approche consiste, dans un premier temps, à l’aider et à l’accompagner afin qu’elle puisse trouver un gain narcissique certain, une certaine fierté, une capacité à être, à réussir, à sortir de ce qui l’handicapait… Nous privilégions, pour ce faire, des outils comme la PNL ou l’hypnose éricksonienne. Ce qui ne veut pas dire que, secondairement, nous n’allons pas l’aider à comprendre, à chercher les causes profondes et le sens de sa problématique, si toutefois le sujet désire poursuivre son travail de thérapie…

Vous proposez une thérapie du sens. Quelle place prend ce dernier dans votre approche ?

C’est le centre même de la démarche psychanalytique que de faire émerger le sens latent des choses vécues, afin d’accéder à la pensée, à la « pensabilité ». Ceci dit, on a pu observer, no- tamment en Respiration Holotropique, des remises en sens de vécus souvent traumatiques sans pour autant qu’il y ait conscientisation. C’est comme s’il y avait une sorte de pensabilité in- consciente (tout à fait nécessaire à l’enclenchement d’un processus de guérison) pouvant se réaliser via ce type de travail. On peut observer peu ou prou la même chose en hypnose éricksonienne. Dans ces cas-là, le sens (exprimé dans le symptôme) est remis seul en sens, si l’on peut dire. Mais dans la plupart des cas, un vrai travail d’archéologie analytique sera nécessaire pour retrouver le sens des vécus traumatiques. Ce qui nous arrive ne nous tombe pas du ciel – par hasard – nous y participons. Chercher le sens, c’est ça : en quoi ce qui m’arrive fait aussi partie de moi-même et de mon histoire ? Qu’est-ce qui, en moi, est aussi à l’origine de ce qui m’arrive ? Trouver le sens de la maladie, quelle qu’elle soit, est un préalable à la guérison mais il est aussi source d’enrichissement.

Que voulez-vous dire ?

Selon l’OMS, la définition de la santé, c’est revenir à l’état de santé antérieur à la maladie. Pour nous, c’est revenir à l’état de santé antérieur à la maladie, mais riches de ce que la maladie nous a appris. En sortir grandis, avec ce que cela implique de mise au jour de notre histoire, de ce qui nous constitue, des « fantômes », d’ouverture de cryptes (secrets de famille…), d’évènements, de situations, à l’origine de notre problématique et auxquels, sans cette maladie, nous n’aurions pas pu avoir accès pour les déployer et nous en libérer.

Ce sens à trouver, dites-vous, peut remonter à la gestation…

C’est ce que nous ont en effet appris Stanislav Grof et la Respiration Holotropique (on pense aussi aux découvertes de Frédéric Leboyer) : ce sens des choses vécues, qui est déterminant dans notre mode d’être au monde et nos souffrances, trouve ses racines dans la période périna- tale, vécu intra-utérin au cours duquel le fœtus partage un champ psychique avec sa mère et ressent donc ce qu’elle ressent, ses joies, ses peines, ses craintes, ses deuils, etc. Mais plus encore, l’origine de notre problématique peut remonter, au-delà de notre vie intra-utérine, à notre conception, à la rencontre de nos parents et ce qui a présidé à notre existence, aux vécus ayant marqué la vie de nos ancêtres (psychologie transgénérationnelle). Très vaste domaine d’évènements qui nous surdéterminent, ou plus exactement qui surdéterminent notre vie psychique inconsciente. Dans notre approche, nous proposons cette ouverture, cet accès à notre histoire ; le sujet est alors invité à devenir le Sherlock Holmes de lui-même !

Vous intégrez également dans votre vision l’approche de Biologie Totale de Claude Sabbah. Comment cela vient-il s’articuler à la psychanalyse et autres outils que vous proposez ?

Rappelons une idée de base : l’être humain fonctionne sur des plans énergétiques différents, des expressions de vie, étagés selon divers niveaux. Tous ces niveaux sont en interaction. Il y aurait un niveau archaïque, essentiel – corporel, biologique, en interaction avec les niveaux affectifs, émotionnels et avec des niveaux un peu plus subtils, élevés – qui ont à voir avec le cognitif. Et on peut aussi considérer qu’il existe un niveau dit « supérieur », spirituel. Que cela soit dans le fonctionnement du vivant ou dans la conduite d’une thérapie, il faut considérer que tous ces niveaux-là interagissent. Dans la lignée de Hamer (lui-même, dans celle des psycho- somaticiens, notamment de Groddeck et de Franz Alexander), Claude Sabbah accorde une grande importance au corps réel dans la maladie et la santé. En psychanalyse, on parle surtout d’un corps fantasmé (l’idée que l’on se fait de son corps, ou plutôt un imaginaire inconscient du corps). Avec Sabbah, c’est le corps réel qui est au cœur de sa réflexion et de sa pratique ; celui qui a subi et vécu des pressions, des chocs traumatiques que la psyché n’a pu métaboliser et qui se sont exprimés par lui et en lui. Ce qui a aussi retenu notre attention chez Sabbah, c’est sa nomenclature, son décodage biologique, éclairant le sens caché et parfaitement inconscient des maladies. C’est un pas décisif, par rapport à Groddeck et Hamer. On perçoit ainsi la réalité de cette reprise par le corps de traumas impensables par la psyché. On réalise le sens de certains traumas, la façon dont ils se sont convertis sous telle ou telle forme de maladie, et ceci dans certaines régions corporelles très déterminées. Effectivement, cela a un sens : ce n’est pas par hasard que l’on a un cancer du sein, par exemple ! Cela correspond toujours à une logique interne, qui est la logique de l’inconscient et la logique du corps. La vision de Sabbah a ainsi véritablement enrichi et éclairé notre regard, et ce que nous savions et pratiquions par ailleurs. Cette conception de la maladie se trouve illustrée de façon quasi littérale dans la Respiration Holotropique.

Venons-en justement à la Respiration Holotropique. Comment la respiration spécifique à cette approche agit-elle dans le processus de guérison ?

Pour reprendre la métaphore de la barque, la Respiration Holotropique constitue cette « deuxième rame », celle de l’infraverbal. Grâce à l’ouverture du champ de conscience qui la caractérise, grâce aux musiques spécifiques qui la soutiennent, elle permet l’accès à des matériaux inaccessibles même dans le rêve et a fortiori en état vigile, et qui concernent notre gestation, notre petite enfance, l’histoire de nos parents, de nos ancêtres, mais aussi les expériences spirituelles, mystiques… La Respiration Holotropique est une ultime résurgence de la transe, mais ce qui a retenu notre attention, c’est sa non directivité. Une fois le cadre posé, c’est aux « respirants » d’entrer à leur rythme dans leur expérience (via l’hyperventilation), elle-même parfaitement autorégulée par leur inconscient. On retrouve ici au niveau de l’expression motrice et affective, la règle de base de la psychanalyse, celle de l’association libre (d’idées…) : « Dites tout ce qui vient à l‘esprit, sans jugement, ni critique. » Avec la Respiration Holotropique, on a affaire à un autre type d’association libre : « Hyperventilez et laissez venir ce qui vient, amplifiez et déployez tout ce qui se présente, sans jugement ni critique. » En général de très fortes émotions, en relation avec des images ou des scènes très diverses, émergeant de l’inconscient et que les thérapeutes vont accompagner et si besoin, aider à déployer. Il faut savoir que les grands traumatismes que l’on a subis dans l’existence ont été engrammés dans des mémoires corporelles (ce qu’on appelle des cryptes, en psychanalyse). Il y a là toujours un « je-ne-sais- quoi » qui émane de ce matériel enkysté – une fumée d’information qui peut avoir des effets forts toxiques dans la vie du sujet. L’holotropie suscite une véritable désengrammation de ce matériel engrammé dans les mémoires corporelles, qui accède ainsi à une sorte de représentabilité (capacité à être déployé et pensé). On pense ici à la métaphore du trou noir. Par cet extraordinaire apport énergétique produit par le processus holotropique, le statut de ce qui était jusque-là un trou noir psychique change. Tout comme le trou noir peut redevenir (théoriquement) un astre irradiant, par un apport énergétique adéquat, les participants peuvent retrouver, après une ou plusieurs séances, ouverture à la vie, dépassement de leur symptôme et guérison.

S’il y a transe, comment justement ne pas dépasser ses limites ?

Il existe en chacun de nous une sagesse inconsciente. Un régulateur interne qui va gérer l’émergence des matériaux, et ce à quoi le sujet ou la psyché du sujet va pouvoir se confronter pour guérir ou évoluer. Stanislav Grof parle de « guérisseur interne ». Nous préférons parler d’évolueur interne pour désigner cette instance psychique qui gère au mieux l’émergence des matériaux nécessaires à l’évolution du sujet. C’est l’inconscient du sujet qui lui permet de mettre au jour, dans l’ici et maintenant de la séance, ce qui doit être mis au jour, ni plus ni moins !

En quoi les modifications de l’état de conscience, spontanées ou induites, tiennent-elles une place majeure dans la guérison ?

Quand on entre en état de conscience dit modifié, tout se passe comme si la conscience pouvait s’affranchir des contraintes corporelles, spatiales, temporelles et de la logique raisonnante. Il y a une sorte d’expansion, d’ouverture, de libération. Comme si la conscience pouvait potentiellement accéder à n’importe quelle information de l’univers. À condition que cela se fasse dans un cadre sécure – grâce au dispositif thérapeutique, mais aussi grâce à l’inconscient du sujet -, l’entrée en transe permet de ramener à la surface (c’est-à-dire à la conscience holotropique qui, comme celle du rêve, n’est pas la conscience vigile) les informations les plus nécessaires à l’évolution et la guérison du sujet, entravées, bloquées jusque-là par ce noyau de souffrance à mettre au jour. Il faut savoir que notre champ de conscience habituel ne peut s’élargir que légèrement (en rêve, par exemple) et nous sommes, de ce fait, relativement limités dans ce que nous pouvons percevoir. Le fait de modifier par la Respiration Holotropique cet état de conscience revient à ouvrir, tout à coup, nos perceptions à 360°C : on embrasse beaucoup plus d’informations et, surtout, on va puiser les informations et les émotions qui leur sont liées, celles dont on a le plus radicalement besoin pour changer mais aussi évoluer et guérir.

Précisions une chose : vous soulignez l’importance que ces modifications d’état de conscience soient (correctement) accompagnées…

Vous faites bien de le souligner ! Dans certains pays, elles sont induites par des plantes, comme l’Ayahuasca ou l’iboga, mais elles sont toujours accompagnées : il y a un chamane ou un medecine man, un cadre spécifique, etc. Dans les raves party ou dans les week-ends « Ayahuasca », par exemple, elles ne sont pas accompagnées, ce sont des transes sauvages, avec les effets dramatiques que l’on connaît. Une réalité sociologique ayant occulté le très grand pouvoir thérapeutique des états de conscience modifiés, correctement cadrés et accompagnés.

Au final, quel est l’enjeu de votre approche ?

Il s’agit d’aider les personnes qui viennent nous voir, avec les outils dont nous disposons (psychanalyse, PNL, hypnose, Respiration Holotropique, accompagnement du deuil, etc.), à aller mieux, à passer un cap, mais aussi à cheminer dans la connaissance de soi. Nous proposons un accompagnement sur ce chemin de vie. Ce qui correspond, en fait, à la définition du thérapeute proposée par Philon d’Alexandrie, au Ier siècle apr. J.-C. : « Celui qui prend soin de l’être de la personne qui s’en remet à lui et qu’il accompagne dans son cheminement intérieur. »

 

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TOUT FEU TOUT FLAMME

CONFERENCE au COLLEGE HOMEOPATHIQUE DE FRANCE (2006) : 64IEME JOURNEE DE PRINTEMPS SUR LE THEME :

TOUT FEU, TOUT FLAMME LE SYMBOLISME DU FEU

Par le Dr Gérald Leroy-Terquem

 

Tout d’abord un grand merci au Dr Philippe Ducornet pour son invitation à venir ici vous parler du symbolisme du feu.

Parler du symbolisme du feu n’est évidemment pas chose facile. De quel point de vue ce sujet va-t-il être abordé ? Du mythologue ? Du psychanalyste ? Freudien ou jungien ? De l’exégète de textes déjà écrits sur le sujet ? Sans oublier l’essentiel : le lien avec la clinique, c’est-à-dire avec les ressentis et surtout avec l’inconscient aussi bien individuel que collectif. Je vais donc tenter, le mieux possible, me situer dans ces différents registres.

LE FEU, SYMBOLE AMBIVALENT :

La première fois ou j’ai entendu parler de ce symbolisme ce fut lors d’une retransmission télévisée du concert donné à l’Opéra de Paris par Maria Callas. A l’entracte un reporter, Pierre Dumayet, demande à Jean Cocteau : – Que représente pour vous Maria Callas ? – C’est tout simple, pour moi Maria Callas, c’est une flamme, répond Cocteau. Je n’ai, à l’époque, strictement rien saisi à cette assertion. Quelques années plus tard j’ai compris qu’il voulait dire que Maria Callas était une femme passionnée. J’ai aussi découvert, plus tard encore, que si Maria Callas avait très bien su gérer sa flamme en tant que tragédienne, interprète, ou musicienne, elle l’avait très mal gérée en tant que femme. Identifiée à une flamme elle en a probablement été consumée. Tous les grands symboles sont ambivalents, mais le feu plus encore. Le feu qui réchauffe et le feu qui brûle, le feu qui illumine et le feu qui détruit, le feu alchimique qui transmute et le feu des enfers. Associé selon le Yi King au Sud, au rouge, à l’été, au cœur, le feu comme énergie est aussi associé à de très nombreux aspects de la vie psychique : amour, sexualité, colère, connaissance, intuitive en particulier, spiritualité– on pense au feu sacré – purification, etc.

LE TRAVAIL DE GASTON BACHELARD :

Parler du symbolisme du feu risque de nous amener dans de très nombreuses directions. Heureusement pour nous, Gaston Bachelard a déjà fait une grande partie du travail dans un petit livre fort stimulant, « La psychanalyse du feu ». De quoi s’agit-il dans cet ouvrage ? D’une recension des différents éprouvés, fantasmes, images, mythes liés chez l’homme à sa relation au feu : sa maîtrise, sa domestication, sa contemplation, ses valeurs métaphoriques et symboliques qui peuvent bien souvent interférer avec nos processus d’identification. Autour du feu, à partir de lui et de tout ce qu’il fait naître, s’organisent, s’intriquent de multiples mouvements psychiques qui vont donner lieu à ce qu’on appelle des complexes. Complexe, je le rappelle, ne veut pas dire compliqué, mais ensemble de fantasmes inconscients qui bien que coexistant, sont souvent contradictoires, et conditionnent notre mode d’être au monde. Ces complexes peuvent contribuer à définir le terrain cher à nos amis homéopathes, à comprendre comme une sorte de « ressenti de base » qui, pour être inconscient, n’en demande pas moins à être élaboré dans le cadre d’une pratique analytique ou psychothérapique. Si la flamme est posée comme métaphore de la vie psychique, tous les cas de figure peuvent se rencontrer : flamme trop intense, flamme éteinte ou presque éteinte, flamme enfouie ou à révéler, flamme mal dirigée, flamme ne concernant qu’un secteur de personnalité et pas un autre, etc… C’est ici sans nul doute qu’une collaboration fructueuse pourrait s’instaurer entre psychothérapeutes et homéopathes. Il y a en effet toute une réflexion à promouvoir sur les liens possibles entre le travail imaginaire tel qu’il se réalise en psychothérapie ou en analyse et l’approche par l’homéopathie du « terrain ». Il y aurait très certainement une intéressante recherche à mener sur ce thème : modification du terrain au cours d’un travail psychothérapique, et corrélativement influence du traitement homéopathique sur l’efficience de la psychothérapie. Pourquoi le feu a-t-il une charge imaginaire aussi importante dans l’inconscient des hommes ? D’abord parce qu’il est comme chacun sait, à l’origine de la civilisation. Pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années, il a été un élément central et essentiel de la vie du groupe, de la tribu, de la famille. Il y a là de quoi marquer très profondément l’inconscient des hommes et davantage encore l’inconscient collectif que l’inconscient individuel. L’importance du feu pour l’imaginaire tient aussi à la valeur métaphorique des différentes images qui lui sont liées : la flamme fait image pour l’ensemble de la vie psychique, son énergie, son fonctionnement, son destin.

LES QUATRE GRANDS COMPLEXES :  

Il revient à Freud d’avoir conceptualisé le complexe d’Œdipe. Certains psychanalystes en ont conceptualisé d’autres, autour des grandes figures de la mythologie ou de la littérature : Hamlet, Jocaste, Orphée etc… Pour ce qui concerne le feu, Bachelard n’en a pas moins élaboré quatre : le complexe de Prométhée, d’Empédocle, de Novalis et d’Hoffmann.

LE COMPLEXE DE PROMETHEE : Dans la mythologie grecque, Prométhée aurait dérobé à Zeus (symbole de l’esprit) quelques semences du feu divin (dans un tube creux, celui d’une tige de férule) pour les apporter sur la terre et en faire profiter les humains. En châtiment, Zeus l’enchaîne à un rocher et lui envoie un aigle qui quotidiennement lui dévore le foie. Mais ce foie est immortel, il se régénère, se reforme la nuit pour être dévoré le jour suivant. Dans une phase ultérieure Héraclès le délivre de ses chaînes et tue l’aigle d’une flèche. Quel est le sens de ce mythe ? Le feu objet des interdits parentaux les plus rigoureux est pour l’enfant l’objet d’une grande convoitise. Maîtriser le feu, acquérir la connaissance qui semble être celle de son père dans le maniement et l’entretien du feu, tel est le désir de l’enfant qui finira dans cette logique à accéder à cette connaissance par une désobéissance adroite. L’enfant dérobe les allumettes, comme Prométhée avait dérobé le feu des dieux. Il veut faire comme son père mais loin de son père. Et ceci selon une tendance irrépressible qui serait comme une volonté d’intellectualité qui n’a rien à voir avec un quelconque principe utilitaire. Le complexe de Prométhée recouvre donc l’ensemble des tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. A bien des égards il s’articule avec le complexe d’Œdipe. En effet, si le complexe d’Œdipe contribue à l’organisation de la vie pulsionnelle, le complexe de Prométhée serait le complexe de la vie intellectuelle. En résumé : un interdit doit être évidemment posé à l’enfant, ne serait-ce que pour éviter qu’il mette le feu à la maison. Mais comme pour tout interdit le parent doit savoir que son enfant sera amené un jour ou l’autre à le transgresser. Il doit donc et en conséquence pouvoir en son for intérieur accepter cette transgression lorsqu’elle adviendra. Il est cependant des situations où cette transgression sera quasiment impossible. Nous prendrons pour l’illustrer un exemple montrant l’intrication, pour ne pas dire la non différentiation de ces deux complexes. Là il ne s’agit pas du feu lui-même mais de l’une de ses images métaphoriques : la sexualité et plus particulièrement l’inceste et les interdits sur la sexualité. Il est en effet des situations où peut s’instaurer une dynamique inconsciente des plus funestes : celle où l’inceste a eu lieu (ou est une réalité actuelle), ou encore lorsque le tabou de la sexualité a été posé comme absolu. Pour préserver à tout prix le lien au(x) parent (s) une première proposition s’impose à l’enfant : « Je n’ai pas le droit de dire quoi que ce soit sur le sexe ». Suivie d’une deuxième : « Je n’ai pas le droit de savoir quoi que ce soit sur le sexe ». Suivie d’une troisième : « Je n’ai pas le droit de savoir ». Ainsi peuvent s’expliquer, sinon la majorité, du moins la plupart des graves échecs de scolarisation qui concernent actuellement de dix à vingt pour cent de la population scolaire… qui ne peut plus avoir foi (e) en ce qu’on lui enseigne…

LE COMPLEXE D’EMPEDOCLE :

Empédocle d’Agrigente était un philosophe grec du Vème siècle avant JC, il était aussi médecin, ingénieur et poète, en cette époque où on pouvait cumuler métiers et fonctions sans trop de problèmes. Empédocle, se suicida, dit-on, en se jetant dans les fournaises de l’Etna. Un geste qui s’éclaire par ses nombreux poèmes et les thèmes de transcendance qu’il y développe. Le complexe d’Empédocle, les fantasmes, les aspirations qui lui sont liés, s’originent d’une contemplation, d’une rêverie au coin du feu, rêverie qui n’est pas sans porter à une certaine mégalomanie. Le feu qui suggère – je cite – « désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute une vie à son terme, à son au-delà ». Il s’agit là d’une rêverie qui amplifie le destin humain. La combustion d’une bûche est la métaphore d’un prompt devenir, et la rêverie qui l’accompagne dédramatise les choses. Ou plutôt dédramatise le drame auquel nous sommes inéluctablement confrontés. La vie d’une bûche devient la vie du monde et l’image d’une destinée, qui, plus qu’un changement, pourrait être un véritable renouvellement. Instinct de vivre et instinct de mourir. Très proche du complexe d’Empédocle, les thèmes de mort/renaissance des rites initiatiques et les mouvements intérieurs propres à l’état de crise : mourir à un certain passé pour naître à ce qui doit advenir, à un plus de vie. Ce qui est le propre d’un rite initiatique : mourir à son enfance et à son adolescence pour devenir pleinement adulte. Mais aussi se préparer à sa propre mort en faisant le « deuil de sa mort » selon l’expression d’Elizabeth Kübler Ross, ou deuil de l’idée que l’on peut habituellement s’en faire au profit d’une certaine acceptation et d’une certaine transcendance. C’est donc à un véritable détachement à l’égard des choses de ce « bas » monde que nous convie le complexe d’Empédocle pour nous ouvrir aux dimensions spirituelles de l’être.

LE COMPLEXE DE NOVALIS :

Avec le Complexe de Novalis c’est l’aspect sexualisé du feu qui est ici mis en scène, mais aussi son aspect narcissisant. La poésie de Novalis est une poésie de la primitivité. Comme les romantiques allemands du 19ème siècle, Novalis, eut à cœur de revivre cette primitivité, ou de la faire revivre. Ce implique participation de l’âme du sujet à l’âme du monde, mais aussi à l’âme de l’autre (heureux par la nature comme avec une femme écrivait Rimbaud), l’une engendrant l’autre. Se rattache à cette vision des choses la notion de totalité, d’appartenance à une totalité qui peut être selon les cas corporelle, affective, fonctionnelle ou spirituelle. Cette participation à l’âme du monde ou de l’autre peut devenir communion, et le feu est dans cette perspective un élément central : le feu réel obtenu par frottement, et le feu de la passion où les caresses ont le plus grand rôle. Il s’agit ici d’un feu et d’une lumière intime. Une chaleur, une douceur qui est celle de la sexualité mais aussi celle du nid, du bercail, une chaleur des origines, qui est aussi à l’origine d’une certaine conscience du bonheur où l’intériorité prime sur tout souci d’extériorisation. La lumière (qui renvoie à la connaissance) joue et rit à la surface des choses, mais seule, la chaleur pénètre. Le complexe de Novalis est donc fondé sur une satisfaction du sens thermique et la conscience profonde du bonheur calorifique. La chaleur est un bien, une précieuse possession. Il faut la garder jalousement et n’en faire don qu’à un être élu qui mérite une communion, une fusion réciproque. Tout le contraire de l’image que nous donne à voir notre société actuelle avec sa communication à tout-va, ses réseaux sociaux et son « extimité ». La richesse et la bonne constitution de notre monde intérieur dépend beaucoup d’une certaine capacité à garder pour soi et en soi ce que l’on vit et à ne pas le dire. Ou plutôt (nuance) savoir à qui ne pas parler.

LE COMPLEXE D’HOFFMANN :

Le complexe d’Hoffmann caractérise un certain type de relation festive à l’alcool – eau de vie ou encore eau de feu. L’image toute métaphorique avancée ici est celle d’un punch flamboyant, qui renvoie à une expérience subjective : l’ingestion du punch avec cette sensation de chaleur immédiate au creux de la poitrine – ou de l’estomac – et, en référence à cette image du feu mobile, qui s’amuse à la surface de l’alcool, libéré de sa propre substance… un effet libératoire : le feu s’allume et joue à la surface de l’être, levée des inhibitions, enrichissement du vocabulaire, libération de la syntaxe et, création de possibilités spirituelles (dans les deux sens du terme ), Bacchus, faut-il le préciser, est un dieu bon ; en faisant divaguer la raison, il empêche l’ankylose de la logique et favorise l’inventivité. Autrement dit le processus de la création. Manquent ici quelques références cliniques. L’alcoolisme hofmannien semble se référer davantage à un art de l’ivresse (dont on trouvera un exemple dans le livre d’Antoine Blondin, devenu un célèbre film : « Un singe en hiver »), qu’à la réalité quotidienne de l’alcoolique. L’observation, l’expérience clinique, la vie quotidienne révèle un tout autre tableau : l’ivresse hofmannienne est certes le fait d’un certain type de personnalité mais elle est (en général) transitoire. Dans un premier temps le buveur hofmannien se révèle étincelant : admirable sens poétique, mots d’esprit, appréhension juste et respectueuse de l’être de l’autre, sens de la communion… Et puis, d’un seul coup, presque d’une seconde à l’autre, ce tableau s’inverse terme à terme : la délicatesse devient grossièreté, le verbe se fait confus, l’attitude respectueuse et confortante cède la place à des propos intrusifs et blessants, ce qui était levée discrète des inhibitions devient totale dissolution du surmoi… Bref une catastrophe. Catastrophe n’étant pas ici à saisir uniquement dans son sens habituel, usuel ou littéraire mais aussi dans son sens étymologique : celui d’un changement fulgurant (c’est le cas de le dire), total, absolu et irréversible (au moins jusqu’à la fin de la saoulerie). Rappelons que dans cette acception, une catastrophe peut concerner aussi bien le déclic d’une crécelle que le déclenchement d’un séisme, phénomène qui n’advient qu’après une longue et graduelle modification d’une des données du système considéré. La théorie des catastrophes conceptualisée dans le domaine de la physique et des mathématiques par René Thom trouve ici dans le champ de la psychologie une application remarquable. La modification graduelle dont il s’agit étant bien évidemment le taux d’alcoolémie et ses incidences neurophysiologiques. Stanislav Grof – comme nous-mêmes – a posé l’hypothèse d’une quête spirituelle toujours sous jacente au comportement alcoolique. Dissolution des limites du moi comme préalable à l’ouverture à un delà du moi (ou de l’ego). Malheureusement cette quête, jamais reconnue comme telle, est toujours avortée et toujours recommencée. Rappelons ici toute l’importance de l’élément de référence qui est celui du sujet. Ainsi l’alcoolisme hofmannien avec ses aspects libérateurs et créateurs est-il marqué du signe du feu. Il est le propre d’une personnalité solaire, d’un « flambeur », alors que dans l’alcoolisme d’Edgar Poe, l’alcool submerge, donne l’oubli et la mort… alcoolisme marqué du signe de l’eau. L’eau est d’ailleurs constamment associée au génie d’Edgar Poe : eaux dormantes, eaux mortes, marécages, flaques, étangs… L’eau est l’élément où se polarise son imagination et le symbolisme du feu n’intervient chez lui que sur un mode répulsif. Le changement catastrophique que nous venons d’évoquer correspondrait-il au passage vers une forme d’ivresse type Edgar Poe ? La question reste posée. Le complexe d’Hoffmann peut-il se concevoir en dehors d’une problématique alcoolique ? Probablement. Le Yi King suggère un symbolisme du feu qui est dans la droite ligne du complexe d’Hoffmann. La flamme est l’expression de la force du feu, et sa durée, est fonction de la qualité du combustible – la densité du bois par exemple. Ce qui signifie : seuls les êtres d’une certaine densité (à fort magnétisme) ont une parole qui porte, une capacité à devenir des personnes influentes. Cette influence peut certes être dévastatrice – on s’y attendait – on peut penser à Hitler. Mais elle peut être aussi le fait de personnes aimables (au sens étymologique), au contact desquelles on se sent réchauffé, dans son cœur comme dans son âme mais aussi dans sa capacité de penser. Et dans ce cas, si la parole porte c’est aussi parce qu’elle a été perçue comme vraie. Elle s’origine d’une certaine force intérieure et authenticité. Faute de quoi, cette force intérieure le sujet risque de se perdre dans des jeux de ou des tentatives de séduction qui peuvent fonctionner un temps mais qui ne durent pas (on est là devant des problématiques hystériques ou encore en faux self…) relations et engouements en feu de paille…

LE FEU ET LA PURETE :

De ce thème Bachelard n’a apparemment pas souhaité en faire un complexe et peutêtre cela ne s’y prête-t-il pas. Deux axes de réflexion à ce sujet : la purification du feu et la purification par le feu. La purification du feu : Cela part de l’idée que tout ce qui s’oppose, limite ou entrave le feu et sa flamme est perçu comme impur. Le feu de la passion en est le modèle. Mais à y regarder de plus près c’est un feu inconstant, brûlant et vite destructeur. On en a un exemple dans la célèbre habanera de Carmen (l’opéra de Bizet) qui annonce le programme (on peut rappeler au passage que Maria Callas a été une des interprètes marquantes de Carmen) : L’amour est un oiseau rebelle. Que nul ne peut apprivoiser…Si tu ne m’aimes pas je t’aime. Mais si je t’aime prends garde à toi. On sait ce qu’il en est advenu. La passion dont Carmen fait preuve et la passion qu’elle inspire n’est pas viable – si ce n’est sous la forme d’un opéra. Le personnage de Carmen prône un feu (une passion) pur (e). C’est-à-dire libre de toute contrainte (proche de « l’interdit d’interdire » de mai 68). La position de Bachelard est (sous des termes identiques – purifier le feu) radicalement inverse. Le feu/passion de Carmen n’est en réalité pas « pur » et de fait il n’est pas viable car strictement autocentré. Il s’agit donc de le « purifier » (pour le rendre viable et vivable) par quelques règles morales. L’amour durable, comme la pensée cohérente, sont construits sur un système de limitations et d’inhibitions solides et claires : des règles morales doivent être intégrées aux lois psychologiques. Une certaine capacité d’autocritique doit nous amener à corriger les excès de nos agissements et élucubrations, nous faire prendre conscience de nos erreurs, nous empêcher de partir dans toutes les directions, nous ajuster à la réalité, celle du monde comme celle de l’être de l’autre. C’est à ce prix (l’acceptation des règles morales et leurs limitations), que le feu qui brûle peut devenir un feu qui éclaire et qui réchauffe. L’amour devient fidélité puis famille, le feu devient foyer. Il est clair cependant que si Carmen avait accepté de devenir femme au foyer, épouse fidèle, le livret en eut été singulièrement appauvri et l’opéra (un des plus souvent représenté avec les opéras de Mozart) n’aurait sûrement pas eu le succès qu’il a connu. « Une amante inconnue possède, dit Novalis un charme magique (qui n’est sûrement pas étranger au succès de Carmen). Mais l’aspiration à l’inconnu, à l’imprévu, est extrêmement dangereuse et néfaste. » Dans la passion plus qu’ailleurs le besoin de constance doit dominer le besoin d’aventure.

LA PURIFICATION PAR LE FEU :

La lutte contre l’excès des passions, contre les impulsions sexuelles est symbolisée par une lutte (au sens de limitations à imposer) contre le feu. Ce qu’on vient d’évoquer. Mais comme tout grand symbole, le feu synonyme de souillure (une femme, une intention impure) a son pendant : le feu purificateur. A l’origine de ce symbolisme la suprématie alimentaire et olfactive, et suprématie tout court des tribus primitives ayant accédé à la conquête du feu. Avoir le feu permettait de préserver la viande de la corruption, faisait disparaître toute trace d’odeur suspecte, et en améliorait considérablement sa digestibilité. Autant d’éléments suggérant un lien fort entre pureté et feu. Autres expériences des temps anciens allant dans ce sens : la fonte du minerai, et le feu agricole (destruction des chaumes et de mauvaises herbes, enrichissement supposé du sol etc…). Progrès de civilisation sur un plan pratique et matériel, mais lourd tribut sur le plan imaginaire. Le fantasme de pureté est en effet un fantasme extrêmement toxique tant sur le plan collectif qu’individuel : n collectif c’est l’épuration ethnique, la Shoah, le Rwanda, les autodafés, les cadavres allemands sensés sentir plus mauvais que les cadavres français (articles trouvés dans la presse pendant la guerre de 14), le « nettoyage » des tranchées adverses au lance-flamme (si possible), le sang impur destiné à abreuver nos sillons (bizarrement retrouvé dans notre hymne national) etc… n Individuel, ce sont des symptômes de la dysmorphophobie des psychotiques : la terreur de sentir mauvais, de perdre son intégrité, son énergie, son âme avec son sperme, d’avoir des pensées impures, et finalement confondre toute manifestation de vie et de sexualité comme une souillure. S’immoler par le feu est un symptôme malheureusement assez fréquent chez les psychotiques mais il existe de nombreux équivalents symptomatiques chez des personnes moins atteintes où les fantasmes de pureté sont extrêmement prégnants, en relation ou pas avec la thématique du feu : alcoolisme, toxicomanie, conduites suicidaires, conduites à risque, joueurs pathologiques (encore appelés flambeurs…). Resterait dans chacun de ces cas à préciser l’importance (qu’on peut suspecter ou pressentir) de cette thématique du feu dans la vie imaginaire de ces sujets. Je vous remercie

 

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TOUT FEU TOUT FLAMME (Suite)

 COLLEGE HOMEOPATHIQUE DE FRANCE (2006)  : 64IEME JOURNEE DE PRINTEMPS SUR LE THEME :

TOUT FEU, TOUT FLAMME (suite)

FEU, NAISSANCE ET ALCOOL Par Djohar SI AHMED

Merci à tous d’être là. Et merci particulièrement à toute l’équipe de CHF et au Dr Philippe Ducornet de m’avoir de nouveau invitée à parler devant vous.

Après les développements que nous venons d’entendre sur le feu de Saint-Antoine, la symbolique du feu, ses divers complexes et correspondances cliniques, je vais vous présenter une observation, que j’ai intitulée : Anna ou la reviviscence d’une naissance dans le feu. Elle pourrait tout aussi bien s’appeler une naissance arrosée. En outre, en rédigeant ce papier, je me suis rendue compte qu’une autre observation, que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de présenter en 2004 devant certains d’entre vous, venait parfaitement illustrer et compléter cette première observation.  Vous aurez deux observations pour le prix d’une…

TRH :

Ces observations sont tirées de séances de TRH ou Travail de Respiration Holotropique. Qu’est-ce donc que le TRH ? Il s’agit d’une forme de thérapie, dite de transe, très mobilisatrice d’affects, complémentaire des approches et des thérapies verbales. Cette approche renoue, sous une forme évidement remaniée, avec des pratiques de transe retrouvées dans toutes les sociétés, depuis la nuit des temps. Ces pratiques furent, en occident, aux origines mêmes de la psychothérapie, on pourrait dire aussi aux origines des sciences humaines. A ces origines nous retrouvons deux grands ancêtres précurseurs : Frantz Anton Mesmer et le Marquis de Puysegur.

Comme pour beaucoup de grands précurseurs, leurs noms et leurs œuvres ont été largement occultés par les mouvements, les idées, les mentalités, mais aussi les découvertes, les modes, les usages qui leur ont succédé depuis deux siècles. Cependant et grâce à Léon Chertok, et à l’Institut Français d’Hypnose, les travaux de ces illustres prédécesseurs ont pu être revisités, et réédités.

Si j’évoque ici ces noms, c’est pour plusieurs raisons :

– En raison de leur pratique : Mesmer et Puysegur, bien que de personnalités fort différentes, furent en effet les premiers, en France et en Occident, à induire dans une pratique thérapeutique de groupe, des états de somnambulisme, des états ou crises magnétiques, des effets cathartiques : autour du baquet pour Mesmer et de l’orme du village de Buzancy, pour Puysegur. Nous dirions actuellement des états de transe.

– En raison de leur éthique, leur sens du respect de l’être de l’autre, s’exprimant en état de transe. On dirait aujourd’hui fonction de contenant, garant de l’homéostasie narcissique du patient. Souci d’accompagner et de se mettre au service des instances autoguérisseuses libérées en état de transe.

– En raison de leur conception de l’énergie psychique mais aussi physique. L’énergie psychique qui est encore une grande énigme (bien que l’on puisse commencer à l’objectiver par l’effet Kirlian ou la photoluminescence) fut appelée à l’époque magnétisme animal. Magnétisme qui s’exprime, circule, transite sous la forme d’un fluide que l’on peut influencer grâce à des « passes » magnétiques.

Cette énergie a ses modes de circulation, de manifestation, d’expression, de transformation, et transmutation, et ceci des niveaux les plus physiologiques, jusqu’aux niveaux les plus élevés ou spirituels, en passant par les niveaux psychologiques. Or, en relisant les textes de Mesmer, en vue de cette journée, j’ai eu la surprise de découvrir qu’il posait déjà en 1779, dans son Mémoire sur la découverte du magnétisme animal, une équivalence tout à fait intéressante, à travers ce qui suit :

Le magnétisme animal, considéré comme un agent, est donc effectivement un FEU INVISIBLE !! Il s’agit :

  • De savoir provoquer et entretenir par tous les moyens possibles ce feu et d’en faire l’application,

  • De connaître et lever les obstacles qui peuvent troubler ou empêcher son action et l’effet gradué qu’on cherche à obtenir dans le traitement,

  • De connaître et de prévoir la marche de leur développement pour en régler et en attendre avec fermeté le cours jusqu’à la guérison,

    Voilà à quoi se réduit généralement la découverte du magnétisme animal, considéré comme moyen (souligné) de préserver des maladies et de les guérir.

    Le feu et ses différents destins, en lien avec l’énergie psychique ou même représentant de l’énergie psychique. Je vais quant à moi aborder les choses par la clinique. Mais avant, je me dois dire quelques mots du contexte dont sont tirées ces observations, à savoir le cadre le TRH ou travail de respiration holotropique :

    J’ai dit tout à l’heure que si j’évoquais les noms de Mesmer et de Puysegur, c’est en raison de leur pratique : la transe somnambulique, transe et que nous avons repris sous cette forme appelée Travail de respiration Holotropique, à partir du travail de Stanislav Grof.

    Rappelons que le mot holotropique signifie : se mouvoir vers le tout, la totalité de son être, vers une intégration du conscient de l’inconscient, du sujet et de son environnement, de son histoire, de ses ancêtres, etc. Ce qui in fine, est le propre de tout projet thérapeutique.

    Le TRH (selon nous) doit se pratiquer en groupe. Car le groupe a, dans ce contexte, une triple fonction à l’égard du processus :

  • Amplifier les affects, c’est-à-dire l’énergie psychique de chaque participant, ou le feu de l’énergie,

  • Réguler le processus holotropique de chacun,

  • Susciter des effets de résonance entre les expériences et permettre, de ce fait la révélation d’un certain type de matériel.

L’expérience TRH :  chaque participant  est tour à tour respirant (celui qui fait activement l’expérience de la transe) et accompagnant. L’entrée en transe, ou changement d’état de conscience est induit par l’effet de groupe, une hyperventilation (en début de séance), des musiques à fort pouvoir émotionnel et un éventuel travail corporel.

Cette entrée en transe est un processus autorégulé : chaque participant vivra très exactement ce qu’il a à vivre ou à actualiser ce jour là… pour évoluer, sortir d’une impasse, résoudre un conflit intérieur inélaborable, guérir. Et c’est l’inconscient de chacun qui décidera de la nature, de l’intensité, de la qualité et du mode d’expression de ce matériel.

Il peut s’agir de reviviscences – fort différentes des remémorations en thérapie verbale et en analyse (où il peut, parfois, y avoir une composante de reviviscence mais sans l’extrême participation corporelle et affective de l’holotropie). Elles  peuvent se réaliser sur un mode visionnaire ou pseudo-hallucinatoire (hallucinations non pathologiques). Ce matériel peut s’originer de tous les niveaux de notre vie psychique : niveau biographique (freudien), niveau périnatal, niveau transgénérationnel, niveau archétypal et collectif, niveau transpersonnel enfin, qui est un très vaste domaine, pouvant concerner des niveaux d’identification extrahumains (animal, végétal, minéral, cosmique …), domaine également de l’expérience spirituelle, et de la dimension sacrée.

Dans tous les cas, se trouve souvent sollicitée une zone de la psyché extrêmement active car influençant directement toute la trame de l’existence, zone organisée pourtant autour d’un matériel impensable, infantasmable, inaccessible et que le TRH peut mettre au jour, révéler, et déployer.

Cependant, et comme dans le rêve, ce matériel peut faire retour ou pas (ou partiellement) à la conscience vigile ordinaire au décours de l’expérience ; l’inconscient peut se défendre à l’égard de certaines prises de conscience… Auquel cas le thérapeute ne pourra que constater des effets de changement ou de guérisons parfois remarquables sans qu’aucune explication ou interprétation puisse être avancée, situation frustrante mais qui doit être assumée.

L’intensité des manifestations motrices, affectives, visionnaires, en un mot l’expression d’un feu intérieur trouve à chaque fois son acmé chez un seul participant. On retrouve un des aspects de la crise mesmérienne (sans le baquet !), tout se passant comme si le flambeau du processus holotropique, passait à la manière d’un relais, d’un participant à un autre.

En outre ce feu peut prendre des expressions corporelles, somatiques, dermatologiques. Je pense à cette participante, sur la peau de laquelle nous avons vu apparaître, au sommet de l’expression de sa crise, une intense éruption sur les avant-bras, sorte de psoriasis, bourgeonnant en temps réel, brûlant comme un feu, et en lien avec sa problématique.

Le TRH enfin confronte le sujet à un processus de Mort/Renaissance : mourir à un avant pour renaître ou naître à ce qui doit advenir.

Après ce préambule un peu complexe mais nécessaire, voici deux illustrations cliniques en lien avec le thème de cette journée

ANNA OU UNE NAISSANCE ARROSEE :

Anna, jeune femme d’une trentaine d’années, s’inscrit, sur les conseils de son psychiatre, à un week-end de TRH.

Elle se plaint d’un alcoolisme sévère, consécutif, dit-elle, à son chômage et à des difficultés affectives, depuis un divorce difficile survenu quelques années plus tôt. Elle est déprimée, a perdu tous les sentiments, les sensations décrits dans le complexe de Novalis. En un mot elle est à la fois alcoolique et éteinte.

Dès le début de l’expérience, elle est saisie d’un froid intense qui non seulement ira en s’accentuant mais qui ne la quittera pas tout au long de la séance. Elle est absolument frigorifiée. Son accompagnante la recouvre de tous les duvets, de tous les pulls, de toutes les couvertures possibles, au point que cette superposition de couches prend l’apparence d’un tumulus, d’un ventre gravide ou même d’une tombe.

Parallèlement à ce froid et à cette nécessité d’y remédier, elle participe à un ensemble de scènes, de visions, de sensations, extrêmement troublantes et dont elle nous fera part plus tard, lors du groupe d’élaboration :

Elle fut, dit-elle, replongée – c’est le cas de le dire- dans la pièce glacée où elle est née, dans la maison de ses parents. Elle se revit fœtus en train de naître, confrontée à une vision d’une précision étonnante : elle assiste effarée, au propre effarement de son père qui déambule, agité, dépassé par les évènements. Pour se donner à la fois une contenance, alléger son angoisse et aussi réchauffer l’atmosphère glaciale de la chambre où a lieu l’accouchement (la naissance d’Anna), ce père décide d’allumer un feu dans la cheminée. Mais probablement trop affolé par la situation, par l’arrivée de ce bébé, il réussit l’exploit, en allumant ce feu, de mettre le feu à la pièce et à la maison. Il appelle les pompiers qui, arrivés quelques minutes plus tard, et devant l’urgence de la situation, aspergent la pièce et la maison pour éteindre le feu !

Ainsi Anna, bébé débarquant dans le monde curieux de ses parents, arrive dans la vie en passant de la chaleur du ventre maternel, et de la chaleur inhérente au processus même de la naissance, au froid glacial de la pièce, puis au chaud de la cheminée, puis au brûlant de l’incendie, puis au mouillé (eau des pompiers) et de nouveau au glacé.

A la suite de cette expérience de brûlant-glacé, glacé-brûlant, brûlant-mouillé, et mouillé-glacé, elle se réchauffe et sort de sa séance pour raconter ce qui précède.

Cette observation illustre le lien entre un changement d’état de conscience, une modification des repères spatio-temporels et l’actualisation d’un évènement ayant réellement eu lieu à l’origine de la vie et en relation de sens avec la symptomatologie de cette patiente.

Anna avait parfois entendu raconter cette histoire d’incendie ayant présidé à sa naissance, comme l’on raconte une légende familiale. Ce qui est remarquable cependant c’est la qualité de la reviviscence affective et sensorielle, et l’acuité de la perception des détails, dont la majeure partie lui sera confirmée par sa mère, étonnée du récit fait par Anne au décours de son expérience holotropique.

Si on se réfère aux racines périnatales de l’alcoolisme d’Anna, survenu après l’épreuve de la séparation d’avec son mari, il est tout à fait possible de faire un lien entre cet incendie et sa symptomatologie qui l’a amenée à s’inscrire en TRH: L’alcool par son pouvoir anxiolytique est un moyen privilégié d’apaisement,  moyen privilégié d’éteindre le feu de l’angoisse. Mais l’alcool est aussi, comme cela a été dit tout à l’heure, un remarquable moyen d’allumer ou de rallumer une flamme intérieure vacillante.

Il convient donc de souligner la prégnance particulière de ces deux mouvements antagonistes prenant naissance (c’est le cas de le dire !) dans ce moment très privilégié qu’est la naissance. On sait depuis les travaux de Konrad Lorentz en éthologie, et des observations de Harlow et Bowlby sur le chimpanzé et le bébé humain, toute l’importance des évènements vécus dans ces minutes voire ces secondes qui entourent la naissance. Les situations, les objets ou les personnes présentes et présentées, seront déterminantes dans une relation d’attachement qu’on appelle l’empreinte, et qui va persister toute la vie. Empreinte ou lien primordial et originaire à la mère ou à tout objet substitutif se présentant au bébé lors de sa naissance.

On peut donc supposer, qu’au lieu d’une empreinte faite de confortation, de bon accueil, de sécurisation, l’affolement général a perturbé ce processus. L’expérience, le vécu de cette naissance catastrophique, se réactualisent lorsque la vie réelle confronte Anna à une séparation : même affolement intérieur, même froid et même nécessité de se réchauffer, même feu et même nécessité de l’éteindre.

L’alcool représente, dans cette optique, une solution possible à deux aspects de cette problématique qui renvoie à des aspects de deux complexes dont nous avons entendu parler au cours de la conférence précédente : le complexe de Novalis (ranimer sa flamme intérieure par l’alcool) et celui d’Edgar Poe (extinction des feux : de l’angoisse, de l’action, de la vie).

L’arrosage par les pompiers (pour éteindre le feu), trouve chez Anne un écho dans la nécessité d’arroser son gosier pour éteindre le feu de son angoisse existentielle et de son vécu d’abandon.

Cette situation clinique peut être interprétée comme la conséquence d’une expérience de perte affolante d’appartenance à une totalité. Cette totalité renvoie à celle du fœtus d’avec le corps et la psyché de la mère, puis du sujet avec son milieu familial, social, professionnel, conjugal, etc. La perte du sentiment d’appartenance à une totalité est corrélative d’une massive émergence d’angoisse et de très nombreuses formes de décompensations psychiques et somatiques. Chez Anna, ce sentiment se trouve réactivé par :

  • la séparation d’avec son mari

  • la perte de son travail
    Deux épreuves dont les vécus sont co-extensifs les uns des autres et surtout co-extensifs de la première et originelle épreuve : la naissance et les conditions de sa naissance.

    Ces traumatismes résonnent entre eux et suscitent chez Anna les mêmes mouvements inconscients, le même imaginaire et la même conduite. Arroser (boire) étant l’élément salvateur aussi bien dans cette épreuve originelle que fut sa naissance que dans ses épreuves existentielles.

    .

    SERGE OU L’ALCOOLIQUE DANS LE “GRAND BLEU”

    C’est par sa mère, collègue et amie d’un participant au TRH que Serge, s’est inscrit pour une session holotropique. La trentaine, obèse, pas rasé, couvert de sueur, débordant d’angoisse, présentant un mélange d’imbibition alcoolique et neuroleptique, il reste avachi durant la présentation du matin, au point que nous nous demandions qui allait se proposer pour l’accompagner. Lors du choix des partenaires, il se laisse passivement choisir, et vivra donc d’abord son expérience de respirant.

    Après une courte phase d’hyperventilation, il plonge dans un état d’immobilité absolue ; mais avec des changements intenses sur son visage, et même une sorte “d’extase” comme s’il participait à un événement extraordinaire. Aucune intervention de notre part n’est nécessaire, si ce n’est à la fin de la séance.

    Serge apparaît comme “lavé”, “Tout s’est bien passé, dit-il, je n’aurais jamais pensé vivre une chose pareille. Au cours du groupe d’élaboration de cette fin de journée, il explicite un peu plus le contenu de son expérience et nous apprenons qu’il “a vraiment vécu le Grand bleu” (en référence au film sorti sur les écrans quelques mois plus tôt), qu’il s’est vu dans les profondeurs des eaux, et y a vécu des instants de bonheur absolu. Il n’est pas très prolixe, mais associe cependant sur une passion depuis longtemps oubliée : la plongée sous-marine, qu’il pratiquait pendant son adolescence et abandonnée par la suite, comme beaucoup d’autres choses. Il apparaît en cette fin de journée très détendu, heureux, répétant avec étonnement et ravissement “je sens que quelque chose a changé… je ne comprends pas… je ne pensais pas vivre une telle expérience”.

    Comme c’est pratiquement toujours le cas au décours de ces expériences véritablement mutatives, Serge n’est visiblement plus le même le lendemain, ou plutôt il est plus lui-même ; il est rasé de près, détendu, extrêmement présent, aucune angoisse perceptible. Il accompagne sa partenaire, de façon parfaite, intervenant juste quand et comme il le faut (car la partenaire qui avait choisi Serge, s’est avérée une respirante particulièrement agitée) pour protéger et cadrer les intenses débordements moteurs de cette dernière.

    Nous n’en apprendrons pas plus sur son expérience, car il est tout à fait possible qu’une grande partie de ce qu’il a vécu soit resté inconsciente, du moins n’a pas fait retour à la conscience vigile. Ce fut sa seule expérience holotropique, unique mais décisive.

On apprendra, et plus de deux ans après cette expérience :

Que Serge a résolu son problème d’alcoolisme, a retrouvé un métier, a quitté sa mère pour s’installer chez lui. Il ne fait pas de rapprochement conscient entre ces changements radicaux et sa séance d’holotropie et pourtant :

Cet alcoolisme durait depuis des années, probablement à la suite du décès de son père, grand alcoolique lui-même. Depuis plusieurs mois, Serge vivait, dans un état d’apragmatisme presque total, (accentué par une neuroleptisation massive), chez sa mère, après avoir perdu son emploi et son appartement. Vie renfermée, misérable et sans espoir.

Malgré le peu de matériel clinique, nous pouvons avancer certaines hypothèses interprétatives, étayées au demeurant par de nombreux cas similaires de dépendance alcoolique ou toxicomaniaque, résolues rapidement ou très rapidement en holotropie.

Grof a avancé l’hypothèse que l’alcoolisme peut être interprété comme une “quête spirituelle”, sans cesse avortée, sans cesse renouvelée, quête inconsciente de communion, de bien-être, d’élation. Hypothèse que nous avons pu vérifier maintes fois dans nos groupes.

Ce qui pourrait être aussi, selon nous, la quête d’un état hautement narcissisant inhérent à une relation satisfaisante, comblante, à la mère des premiers âges ; et au-delà bien sûr, au vécu positif de la première matrice périnatale (ou gestation) Un état dans lequel loin de se perdre, le sujet peut se retrouver, et à partir duquel une nouvelle et authentique évolution devient possible. Ce que Serge cherchait dans l’alcool, dans les aléas à sa mère réelle, sans jamais le trouver si ce n’est de façon extrêmement partielle, il l’a vécu pleinement dans sa séance holotropique. Et ce, à tous les niveaux de son être.

Revivre cet état de félicité primordiale, et le revivre pleinement et non de la façon bégayante et avortée de l’accès éthylique ou toxicomaniaque, en a liquidé la nostalgie et désaliène le sujet. En résumé, « un paradis a été perdu mais je sais maintenant et pour l’avoir revécu qu’il est là et pourrai le retrouver un jour ». Revécu à travers cette plongée dans le Grand Bleu, le renvoyant à sa passion pour la plongée sous-marine, elle-même le renvoyant à une gestation (première matrice) probablement positive.

En outre, Serge avait été choisi lors de cette expérience, par une partenaire qui s’avéra, dans sa propre expérience holotropique, autant expansive, « allumée », c’est-à-dire tout feu tout flamme, qu’il était lui-même éteint.

Conclusion :

A priori, on peut se demander pourquoi je vous ai présenté ces deux formes d’alcoolisme. Celui d’Anna s’inscrit comme on l’a vu dans la thématique de cette journée, qui est celle du feu : feu réel et feu symbolique, feu de l’angoisse à éteindre et feu intérieur à rallumer (Novalis).

Serge, lui, s’est retrouvé non pas dans le feu, mais dans l’élément antagoniste : l’eau. Il se situerait donc plus du côté d’Edgar Poe. On a vu tout à l’heure que l’alcoolisme hofmannien avait tendance à s’inverser dans une forme « Edgar Poe », l’alcoolisme de Serge a semblé, à la faveur de cette séance holotropique, réaliser le mouvement inverse, où l’alcoolisme se dissout dans l’eau de la reviviscence, dans le même temps où il retrouve une flamme intérieure, un appétit de vivre très hofmannien.

Voici donc, une façon sinon originale, et de considérer l’alcoolisme et ses racines périnatales. Je vous remercie.

 

 

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Bagdad-Café : Métaphore d’une thérapie

 

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Hubert LARCHER

2013 -Dr HUBERT LARCHER : Conférence donnée  à l’Institut Métapsychique International (IMI) par  Djohar SI AHMED

Dr Hubert LARCHER - 1921-2008
Dr Hubert LARCHER – 1921-2008

Hubert LARCHER

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La traversée spirite de Fernand DESMOULIN

 

 

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