CONFERENCE au COLLEGE HOMEOPATHIQUE DE FRANCE (2006) : 64IEME JOURNEE DE PRINTEMPS SUR LE THEME :
TOUT FEU, TOUT FLAMME LE SYMBOLISME DU FEU
Par le Dr Gérald Leroy-Terquem
Tout d’abord un grand merci au Dr Philippe Ducornet pour son invitation à venir ici vous parler du symbolisme du feu.
Parler du symbolisme du feu n’est évidemment pas chose facile. De quel point de vue ce sujet va-t-il être abordé ? Du mythologue ? Du psychanalyste ? Freudien ou jungien ? De l’exégète de textes déjà écrits sur le sujet ? Sans oublier l’essentiel : le lien avec la clinique, c’est-à-dire avec les ressentis et surtout avec l’inconscient aussi bien individuel que collectif. Je vais donc tenter, le mieux possible, me situer dans ces différents registres.
LE FEU, SYMBOLE AMBIVALENT :
La première fois ou j’ai entendu parler de ce symbolisme ce fut lors d’une retransmission télévisée du concert donné à l’Opéra de Paris par Maria Callas. A l’entracte un reporter, Pierre Dumayet, demande à Jean Cocteau : – Que représente pour vous Maria Callas ? – C’est tout simple, pour moi Maria Callas, c’est une flamme, répond Cocteau. Je n’ai, à l’époque, strictement rien saisi à cette assertion. Quelques années plus tard j’ai compris qu’il voulait dire que Maria Callas était une femme passionnée. J’ai aussi découvert, plus tard encore, que si Maria Callas avait très bien su gérer sa flamme en tant que tragédienne, interprète, ou musicienne, elle l’avait très mal gérée en tant que femme. Identifiée à une flamme elle en a probablement été consumée. Tous les grands symboles sont ambivalents, mais le feu plus encore. Le feu qui réchauffe et le feu qui brûle, le feu qui illumine et le feu qui détruit, le feu alchimique qui transmute et le feu des enfers. Associé selon le Yi King au Sud, au rouge, à l’été, au cœur, le feu comme énergie est aussi associé à de très nombreux aspects de la vie psychique : amour, sexualité, colère, connaissance, intuitive en particulier, spiritualité– on pense au feu sacré – purification, etc.
LE TRAVAIL DE GASTON BACHELARD :
Parler du symbolisme du feu risque de nous amener dans de très nombreuses directions. Heureusement pour nous, Gaston Bachelard a déjà fait une grande partie du travail dans un petit livre fort stimulant, « La psychanalyse du feu ». De quoi s’agit-il dans cet ouvrage ? D’une recension des différents éprouvés, fantasmes, images, mythes liés chez l’homme à sa relation au feu : sa maîtrise, sa domestication, sa contemplation, ses valeurs métaphoriques et symboliques qui peuvent bien souvent interférer avec nos processus d’identification. Autour du feu, à partir de lui et de tout ce qu’il fait naître, s’organisent, s’intriquent de multiples mouvements psychiques qui vont donner lieu à ce qu’on appelle des complexes. Complexe, je le rappelle, ne veut pas dire compliqué, mais ensemble de fantasmes inconscients qui bien que coexistant, sont souvent contradictoires, et conditionnent notre mode d’être au monde. Ces complexes peuvent contribuer à définir le terrain cher à nos amis homéopathes, à comprendre comme une sorte de « ressenti de base » qui, pour être inconscient, n’en demande pas moins à être élaboré dans le cadre d’une pratique analytique ou psychothérapique. Si la flamme est posée comme métaphore de la vie psychique, tous les cas de figure peuvent se rencontrer : flamme trop intense, flamme éteinte ou presque éteinte, flamme enfouie ou à révéler, flamme mal dirigée, flamme ne concernant qu’un secteur de personnalité et pas un autre, etc… C’est ici sans nul doute qu’une collaboration fructueuse pourrait s’instaurer entre psychothérapeutes et homéopathes. Il y a en effet toute une réflexion à promouvoir sur les liens possibles entre le travail imaginaire tel qu’il se réalise en psychothérapie ou en analyse et l’approche par l’homéopathie du « terrain ». Il y aurait très certainement une intéressante recherche à mener sur ce thème : modification du terrain au cours d’un travail psychothérapique, et corrélativement influence du traitement homéopathique sur l’efficience de la psychothérapie. Pourquoi le feu a-t-il une charge imaginaire aussi importante dans l’inconscient des hommes ? D’abord parce qu’il est comme chacun sait, à l’origine de la civilisation. Pendant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années, il a été un élément central et essentiel de la vie du groupe, de la tribu, de la famille. Il y a là de quoi marquer très profondément l’inconscient des hommes et davantage encore l’inconscient collectif que l’inconscient individuel. L’importance du feu pour l’imaginaire tient aussi à la valeur métaphorique des différentes images qui lui sont liées : la flamme fait image pour l’ensemble de la vie psychique, son énergie, son fonctionnement, son destin.
LES QUATRE GRANDS COMPLEXES :
Il revient à Freud d’avoir conceptualisé le complexe d’Œdipe. Certains psychanalystes en ont conceptualisé d’autres, autour des grandes figures de la mythologie ou de la littérature : Hamlet, Jocaste, Orphée etc… Pour ce qui concerne le feu, Bachelard n’en a pas moins élaboré quatre : le complexe de Prométhée, d’Empédocle, de Novalis et d’Hoffmann.
– LE COMPLEXE DE PROMETHEE : Dans la mythologie grecque, Prométhée aurait dérobé à Zeus (symbole de l’esprit) quelques semences du feu divin (dans un tube creux, celui d’une tige de férule) pour les apporter sur la terre et en faire profiter les humains. En châtiment, Zeus l’enchaîne à un rocher et lui envoie un aigle qui quotidiennement lui dévore le foie. Mais ce foie est immortel, il se régénère, se reforme la nuit pour être dévoré le jour suivant. Dans une phase ultérieure Héraclès le délivre de ses chaînes et tue l’aigle d’une flèche. Quel est le sens de ce mythe ? Le feu objet des interdits parentaux les plus rigoureux est pour l’enfant l’objet d’une grande convoitise. Maîtriser le feu, acquérir la connaissance qui semble être celle de son père dans le maniement et l’entretien du feu, tel est le désir de l’enfant qui finira dans cette logique à accéder à cette connaissance par une désobéissance adroite. L’enfant dérobe les allumettes, comme Prométhée avait dérobé le feu des dieux. Il veut faire comme son père mais loin de son père. Et ceci selon une tendance irrépressible qui serait comme une volonté d’intellectualité qui n’a rien à voir avec un quelconque principe utilitaire. Le complexe de Prométhée recouvre donc l’ensemble des tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. A bien des égards il s’articule avec le complexe d’Œdipe. En effet, si le complexe d’Œdipe contribue à l’organisation de la vie pulsionnelle, le complexe de Prométhée serait le complexe de la vie intellectuelle. En résumé : un interdit doit être évidemment posé à l’enfant, ne serait-ce que pour éviter qu’il mette le feu à la maison. Mais comme pour tout interdit le parent doit savoir que son enfant sera amené un jour ou l’autre à le transgresser. Il doit donc et en conséquence pouvoir en son for intérieur accepter cette transgression lorsqu’elle adviendra. Il est cependant des situations où cette transgression sera quasiment impossible. Nous prendrons pour l’illustrer un exemple montrant l’intrication, pour ne pas dire la non différentiation de ces deux complexes. Là il ne s’agit pas du feu lui-même mais de l’une de ses images métaphoriques : la sexualité et plus particulièrement l’inceste et les interdits sur la sexualité. Il est en effet des situations où peut s’instaurer une dynamique inconsciente des plus funestes : celle où l’inceste a eu lieu (ou est une réalité actuelle), ou encore lorsque le tabou de la sexualité a été posé comme absolu. Pour préserver à tout prix le lien au(x) parent (s) une première proposition s’impose à l’enfant : « Je n’ai pas le droit de dire quoi que ce soit sur le sexe ». Suivie d’une deuxième : « Je n’ai pas le droit de savoir quoi que ce soit sur le sexe ». Suivie d’une troisième : « Je n’ai pas le droit de savoir ». Ainsi peuvent s’expliquer, sinon la majorité, du moins la plupart des graves échecs de scolarisation qui concernent actuellement de dix à vingt pour cent de la population scolaire… qui ne peut plus avoir foi (e) en ce qu’on lui enseigne…
– LE COMPLEXE D’EMPEDOCLE :
Empédocle d’Agrigente était un philosophe grec du Vème siècle avant JC, il était aussi médecin, ingénieur et poète, en cette époque où on pouvait cumuler métiers et fonctions sans trop de problèmes. Empédocle, se suicida, dit-on, en se jetant dans les fournaises de l’Etna. Un geste qui s’éclaire par ses nombreux poèmes et les thèmes de transcendance qu’il y développe. Le complexe d’Empédocle, les fantasmes, les aspirations qui lui sont liés, s’originent d’une contemplation, d’une rêverie au coin du feu, rêverie qui n’est pas sans porter à une certaine mégalomanie. Le feu qui suggère – je cite – « désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute une vie à son terme, à son au-delà ». Il s’agit là d’une rêverie qui amplifie le destin humain. La combustion d’une bûche est la métaphore d’un prompt devenir, et la rêverie qui l’accompagne dédramatise les choses. Ou plutôt dédramatise le drame auquel nous sommes inéluctablement confrontés. La vie d’une bûche devient la vie du monde et l’image d’une destinée, qui, plus qu’un changement, pourrait être un véritable renouvellement. Instinct de vivre et instinct de mourir. Très proche du complexe d’Empédocle, les thèmes de mort/renaissance des rites initiatiques et les mouvements intérieurs propres à l’état de crise : mourir à un certain passé pour naître à ce qui doit advenir, à un plus de vie. Ce qui est le propre d’un rite initiatique : mourir à son enfance et à son adolescence pour devenir pleinement adulte. Mais aussi se préparer à sa propre mort en faisant le « deuil de sa mort » selon l’expression d’Elizabeth Kübler Ross, ou deuil de l’idée que l’on peut habituellement s’en faire au profit d’une certaine acceptation et d’une certaine transcendance. C’est donc à un véritable détachement à l’égard des choses de ce « bas » monde que nous convie le complexe d’Empédocle pour nous ouvrir aux dimensions spirituelles de l’être.
–LE COMPLEXE DE NOVALIS :
Avec le Complexe de Novalis c’est l’aspect sexualisé du feu qui est ici mis en scène, mais aussi son aspect narcissisant. La poésie de Novalis est une poésie de la primitivité. Comme les romantiques allemands du 19ème siècle, Novalis, eut à cœur de revivre cette primitivité, ou de la faire revivre. Ce implique participation de l’âme du sujet à l’âme du monde, mais aussi à l’âme de l’autre (heureux par la nature comme avec une femme écrivait Rimbaud), l’une engendrant l’autre. Se rattache à cette vision des choses la notion de totalité, d’appartenance à une totalité qui peut être selon les cas corporelle, affective, fonctionnelle ou spirituelle. Cette participation à l’âme du monde ou de l’autre peut devenir communion, et le feu est dans cette perspective un élément central : le feu réel obtenu par frottement, et le feu de la passion où les caresses ont le plus grand rôle. Il s’agit ici d’un feu et d’une lumière intime. Une chaleur, une douceur qui est celle de la sexualité mais aussi celle du nid, du bercail, une chaleur des origines, qui est aussi à l’origine d’une certaine conscience du bonheur où l’intériorité prime sur tout souci d’extériorisation. La lumière (qui renvoie à la connaissance) joue et rit à la surface des choses, mais seule, la chaleur pénètre. Le complexe de Novalis est donc fondé sur une satisfaction du sens thermique et la conscience profonde du bonheur calorifique. La chaleur est un bien, une précieuse possession. Il faut la garder jalousement et n’en faire don qu’à un être élu qui mérite une communion, une fusion réciproque. Tout le contraire de l’image que nous donne à voir notre société actuelle avec sa communication à tout-va, ses réseaux sociaux et son « extimité ». La richesse et la bonne constitution de notre monde intérieur dépend beaucoup d’une certaine capacité à garder pour soi et en soi ce que l’on vit et à ne pas le dire. Ou plutôt (nuance) savoir à qui ne pas parler.
–LE COMPLEXE D’HOFFMANN :
Le complexe d’Hoffmann caractérise un certain type de relation festive à l’alcool – eau de vie ou encore eau de feu. L’image toute métaphorique avancée ici est celle d’un punch flamboyant, qui renvoie à une expérience subjective : l’ingestion du punch avec cette sensation de chaleur immédiate au creux de la poitrine – ou de l’estomac – et, en référence à cette image du feu mobile, qui s’amuse à la surface de l’alcool, libéré de sa propre substance… un effet libératoire : le feu s’allume et joue à la surface de l’être, levée des inhibitions, enrichissement du vocabulaire, libération de la syntaxe et, création de possibilités spirituelles (dans les deux sens du terme ), Bacchus, faut-il le préciser, est un dieu bon ; en faisant divaguer la raison, il empêche l’ankylose de la logique et favorise l’inventivité. Autrement dit le processus de la création. Manquent ici quelques références cliniques. L’alcoolisme hofmannien semble se référer davantage à un art de l’ivresse (dont on trouvera un exemple dans le livre d’Antoine Blondin, devenu un célèbre film : « Un singe en hiver »), qu’à la réalité quotidienne de l’alcoolique. L’observation, l’expérience clinique, la vie quotidienne révèle un tout autre tableau : l’ivresse hofmannienne est certes le fait d’un certain type de personnalité mais elle est (en général) transitoire. Dans un premier temps le buveur hofmannien se révèle étincelant : admirable sens poétique, mots d’esprit, appréhension juste et respectueuse de l’être de l’autre, sens de la communion… Et puis, d’un seul coup, presque d’une seconde à l’autre, ce tableau s’inverse terme à terme : la délicatesse devient grossièreté, le verbe se fait confus, l’attitude respectueuse et confortante cède la place à des propos intrusifs et blessants, ce qui était levée discrète des inhibitions devient totale dissolution du surmoi… Bref une catastrophe. Catastrophe n’étant pas ici à saisir uniquement dans son sens habituel, usuel ou littéraire mais aussi dans son sens étymologique : celui d’un changement fulgurant (c’est le cas de le dire), total, absolu et irréversible (au moins jusqu’à la fin de la saoulerie). Rappelons que dans cette acception, une catastrophe peut concerner aussi bien le déclic d’une crécelle que le déclenchement d’un séisme, phénomène qui n’advient qu’après une longue et graduelle modification d’une des données du système considéré. La théorie des catastrophes conceptualisée dans le domaine de la physique et des mathématiques par René Thom trouve ici dans le champ de la psychologie une application remarquable. La modification graduelle dont il s’agit étant bien évidemment le taux d’alcoolémie et ses incidences neurophysiologiques. Stanislav Grof – comme nous-mêmes – a posé l’hypothèse d’une quête spirituelle toujours sous jacente au comportement alcoolique. Dissolution des limites du moi comme préalable à l’ouverture à un delà du moi (ou de l’ego). Malheureusement cette quête, jamais reconnue comme telle, est toujours avortée et toujours recommencée. Rappelons ici toute l’importance de l’élément de référence qui est celui du sujet. Ainsi l’alcoolisme hofmannien avec ses aspects libérateurs et créateurs est-il marqué du signe du feu. Il est le propre d’une personnalité solaire, d’un « flambeur », alors que dans l’alcoolisme d’Edgar Poe, l’alcool submerge, donne l’oubli et la mort… alcoolisme marqué du signe de l’eau. L’eau est d’ailleurs constamment associée au génie d’Edgar Poe : eaux dormantes, eaux mortes, marécages, flaques, étangs… L’eau est l’élément où se polarise son imagination et le symbolisme du feu n’intervient chez lui que sur un mode répulsif. Le changement catastrophique que nous venons d’évoquer correspondrait-il au passage vers une forme d’ivresse type Edgar Poe ? La question reste posée. Le complexe d’Hoffmann peut-il se concevoir en dehors d’une problématique alcoolique ? Probablement. Le Yi King suggère un symbolisme du feu qui est dans la droite ligne du complexe d’Hoffmann. La flamme est l’expression de la force du feu, et sa durée, est fonction de la qualité du combustible – la densité du bois par exemple. Ce qui signifie : seuls les êtres d’une certaine densité (à fort magnétisme) ont une parole qui porte, une capacité à devenir des personnes influentes. Cette influence peut certes être dévastatrice – on s’y attendait – on peut penser à Hitler. Mais elle peut être aussi le fait de personnes aimables (au sens étymologique), au contact desquelles on se sent réchauffé, dans son cœur comme dans son âme mais aussi dans sa capacité de penser. Et dans ce cas, si la parole porte c’est aussi parce qu’elle a été perçue comme vraie. Elle s’origine d’une certaine force intérieure et authenticité. Faute de quoi, cette force intérieure le sujet risque de se perdre dans des jeux de ou des tentatives de séduction qui peuvent fonctionner un temps mais qui ne durent pas (on est là devant des problématiques hystériques ou encore en faux self…) relations et engouements en feu de paille…
LE FEU ET LA PURETE :
De ce thème Bachelard n’a apparemment pas souhaité en faire un complexe et peutêtre cela ne s’y prête-t-il pas. Deux axes de réflexion à ce sujet : la purification du feu et la purification par le feu. La purification du feu : Cela part de l’idée que tout ce qui s’oppose, limite ou entrave le feu et sa flamme est perçu comme impur. Le feu de la passion en est le modèle. Mais à y regarder de plus près c’est un feu inconstant, brûlant et vite destructeur. On en a un exemple dans la célèbre habanera de Carmen (l’opéra de Bizet) qui annonce le programme (on peut rappeler au passage que Maria Callas a été une des interprètes marquantes de Carmen) : L’amour est un oiseau rebelle. Que nul ne peut apprivoiser…Si tu ne m’aimes pas je t’aime. Mais si je t’aime prends garde à toi. On sait ce qu’il en est advenu. La passion dont Carmen fait preuve et la passion qu’elle inspire n’est pas viable – si ce n’est sous la forme d’un opéra. Le personnage de Carmen prône un feu (une passion) pur (e). C’est-à-dire libre de toute contrainte (proche de « l’interdit d’interdire » de mai 68). La position de Bachelard est (sous des termes identiques – purifier le feu) radicalement inverse. Le feu/passion de Carmen n’est en réalité pas « pur » et de fait il n’est pas viable car strictement autocentré. Il s’agit donc de le « purifier » (pour le rendre viable et vivable) par quelques règles morales. L’amour durable, comme la pensée cohérente, sont construits sur un système de limitations et d’inhibitions solides et claires : des règles morales doivent être intégrées aux lois psychologiques. Une certaine capacité d’autocritique doit nous amener à corriger les excès de nos agissements et élucubrations, nous faire prendre conscience de nos erreurs, nous empêcher de partir dans toutes les directions, nous ajuster à la réalité, celle du monde comme celle de l’être de l’autre. C’est à ce prix (l’acceptation des règles morales et leurs limitations), que le feu qui brûle peut devenir un feu qui éclaire et qui réchauffe. L’amour devient fidélité puis famille, le feu devient foyer. Il est clair cependant que si Carmen avait accepté de devenir femme au foyer, épouse fidèle, le livret en eut été singulièrement appauvri et l’opéra (un des plus souvent représenté avec les opéras de Mozart) n’aurait sûrement pas eu le succès qu’il a connu. « Une amante inconnue possède, dit Novalis un charme magique (qui n’est sûrement pas étranger au succès de Carmen). Mais l’aspiration à l’inconnu, à l’imprévu, est extrêmement dangereuse et néfaste. » Dans la passion plus qu’ailleurs le besoin de constance doit dominer le besoin d’aventure.
LA PURIFICATION PAR LE FEU :
La lutte contre l’excès des passions, contre les impulsions sexuelles est symbolisée par une lutte (au sens de limitations à imposer) contre le feu. Ce qu’on vient d’évoquer. Mais comme tout grand symbole, le feu synonyme de souillure (une femme, une intention impure) a son pendant : le feu purificateur. A l’origine de ce symbolisme la suprématie alimentaire et olfactive, et suprématie tout court des tribus primitives ayant accédé à la conquête du feu. Avoir le feu permettait de préserver la viande de la corruption, faisait disparaître toute trace d’odeur suspecte, et en améliorait considérablement sa digestibilité. Autant d’éléments suggérant un lien fort entre pureté et feu. Autres expériences des temps anciens allant dans ce sens : la fonte du minerai, et le feu agricole (destruction des chaumes et de mauvaises herbes, enrichissement supposé du sol etc…). Progrès de civilisation sur un plan pratique et matériel, mais lourd tribut sur le plan imaginaire. Le fantasme de pureté est en effet un fantasme extrêmement toxique tant sur le plan collectif qu’individuel : n collectif c’est l’épuration ethnique, la Shoah, le Rwanda, les autodafés, les cadavres allemands sensés sentir plus mauvais que les cadavres français (articles trouvés dans la presse pendant la guerre de 14), le « nettoyage » des tranchées adverses au lance-flamme (si possible), le sang impur destiné à abreuver nos sillons (bizarrement retrouvé dans notre hymne national) etc… n Individuel, ce sont des symptômes de la dysmorphophobie des psychotiques : la terreur de sentir mauvais, de perdre son intégrité, son énergie, son âme avec son sperme, d’avoir des pensées impures, et finalement confondre toute manifestation de vie et de sexualité comme une souillure. S’immoler par le feu est un symptôme malheureusement assez fréquent chez les psychotiques mais il existe de nombreux équivalents symptomatiques chez des personnes moins atteintes où les fantasmes de pureté sont extrêmement prégnants, en relation ou pas avec la thématique du feu : alcoolisme, toxicomanie, conduites suicidaires, conduites à risque, joueurs pathologiques (encore appelés flambeurs…). Resterait dans chacun de ces cas à préciser l’importance (qu’on peut suspecter ou pressentir) de cette thématique du feu dans la vie imaginaire de ces sujets. Je vous remercie